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triple : il y avait en lui l’Homme de Fer, à la barbe bleue, l’ogre et le spectre des légendes allemandes, apportées en Bretagne par les pèlerins du Mont. Les gens de la campagne bretonne conçoivent et rendent parfaitement ces prodigieuses multiplications de l’être. En thèse générale, leur esprit, saturé de récits merveilleux, n’a besoin d’aucun effort pour admettre l’impossible. Le comte Otto Béringhem, sous sa première espèce, l’Homme de Fer était un guerrier armé de toutes pièces, monté sur un grand cheval noir, et suivi de six Éthiopiens couleur d’ébène qui portaient des tuniques blanches. L’Ogre des Iles, au contraire, était un monstre velu, courant la nuit, à poil sur un cheval sauvage, tout nu, avec une hache dans la main, de la fumée dans les dents, du feu dans le creux de ses yeux.

Et pourtant l’Ogre et l’Homme de Fer étaient bien la même personne, qui se transformait au besoin et prenait une troisième apparence. Celle-ci était le rêve germanique : un beau jeune homme, pâle comme le linceul des morts, froid, triste, muet, des cheveux noirs soyeux, sur un front d’ivoire, des mains plus blanches et plus efféminées que les mains d’une fille noble, un regard doux, une voix grave et tendre.

Or, choisissez entre les trois !

Et ne vous étonnez plus s’il y eut un peu d’émotion chez la jolie Berthe de Maurever quand Javotte, sa chambrière, lui annonça qu’elle allait conter une histoire du comte Otto Béringhem.