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obscurcir l’éclat. Jeannin porta la main à sa toque et se découvrit avec respect.

Je suis tout entier à mon seigneur le duc, dit-il ; mais que Votre Majesté m’ordonne quelque chose contre un autre que François de Bretagne, je crois que j’obéirai.

— Ah ! ah ! tu crois cela, mon homme murmura le roi en souriant ; voyons assieds-toi là, vis-à-vis de moi, et trinquons si tu veux.

Jeannin s’inclina, mais ne s’assit point.

Nous ferons remarquer qu’auprès de Jeannin, Pierre Gillot ne parlait plus, comme il avait fait avec Bruno, de ce fantastique mariage entre deux enfants qui étaient encore dans les flancs de leurs mères Charles et Anne.

Louis XI, le plus fin diplomate de son temps, mentait volontiers le long de la route, mais quand il arrivait au but, il parlait droit. Ses négociations orales avec Charles le Téméraire, dénaturées pour le besoin des fictions dramatiques, sont des modèles de franchise et de précision. Ce mortel ennemi de la chevalerie fut un aventurier à sa manière. Il allait de l’avant, et l’histoire, qui le fait si cauteleux est obligée d’avouer à chaque instant ses étranges hardiesses.

— Ne t’assieds pas si tu ne veux pas, ami Jeannin, reprit-il ; c’est beaucoup, cela ! c’est beaucoup de croire que tu m’obéirais ! Dans ma terre de Bretagne, sur dix hommes portant la lance ou l’épée, il en est neuf qui me regardent comme un prince étranger, c’est-à-dire ennemi. On ne peut rien contre ce malheur des temps ! D’autres jours viendront, et tu le sais bien, puisque ton maître vaillant, le saint Maurever, l’a dit à l’heure où les hommes sont prophètes.

— Oui, prononça Jeannin à voix basse et d’un air sombre, M. Hue l’a dit à l’article de la mort. Comment le savez-vous, peu m’importe ! M. Hue a dit La Bretagne va mourir.

— La Bretagne va vivre interrompit le roi dont les yeux s’animèrent. Quand ? je ne sais. Je demande à Dieu, pour mon compte, de vivre jusque-là et je mourrai content. Mais Moïse ne vit que de loin la bienheureuse terre de Chanaan, promise