Page:A. Challamel.- Les Clubs contre-révolutionnaires.djvu/580

Cette page n’a pas encore été corrigée

Son salon représentait^ alors, à quelques nuances près, l’espril du cercle constitutionnel de l’hôtel de Salm (1). Parras, le seul des membres du Directoire qui y fût admis, subissait encore un peu l’influence de la baronne, quoiqu’il eût secondé Bonaparte en vendémiaire, quoiqu’il prêtât l’oreille à des propositions faites par l’étranger et le parti royaliste. L’hôtel de madame de Staël était, somme toute, le rendez-vous des gens libéraux qui redoutaient le retour d’un gouvernement autoritaire, à plus forte raison d’un gouvernement militaire. Benjamin Constant défendait leur opinion. C’était une petite coterie, qui eut une assez grande influence, lors du 18 fructidor, et qui persista, accentua son opposition sous le Consulat, quand Bonaparte ne soufl’rait plus d’obstacles. Madame de Staël put faire cesser la proscription de son père en thermidor an VI.

Le domicile de madame de Staël était alors rue de Lille, n° 540. Elle reçut principalement, non seulement Benjamin Constant, mais Garât, Andrieux, Daunou, Rœderer, Sauvo, Talma, Gérard, Lucien et Joseph Bonaparte. Société fort mêlée, on le voit, à la fois politique, artistique et littéraire.

Après le 18 brumaire, elle crut qu’il lui serait permis de critiquer à huis clos les actes du nouveau gouvernement. Dans son salon, on appela idéophobe le premier consul. Bonaparte prétendit que l’on avait commencé le procès de Louis XVI chez Necker ; que madame de Staël avait intrigaillé occultement après le 9 thermidor, et figuré en sous-ordre dans les orgies du Directoire (2). On menaça ses amis, on mit son salon en interdit. Vainement Lucien et Joseph Bonaparte essayèrent d’intervenir : leur frère leur reprocha d’avoir de l’engouement pour une virago (3).

Le salon de madame de Staël tua le Tribunat. En effet, un décret ayant ôté la parole aux membres du Tribunat, Benjamin Constant releva spirituellement et solidement la pensée qui faisait de ce corps de l’État une simple commission aux ordres du gouvernement. Pour se venger, Bonaparte, par l’intermédiaire de Fouché, ordonna à madame de Staël de quitter Paris ; il la soupçonnait d’avoir inspiré le discours d’opposition à Benjamin Constant. Les membres du Tribunal avaient continué à se réunir chez elle. « Ce n’est point un salon, disait Bonaparte, c’est un club. »

(1) Voir plus haut, Cluh de Salin, p. 507.

(2) Lucien Bonaparte, Mémoires, t. II, p. 245. (3) Lucien Bonaparte, Mémoires, t. II, p. 237.