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III

Chez le tragédien Talma, rue Chantereine, dans l’hôtel habité plus tard par le général Bonaparte, lors de son retour d’Egypte, une société brillante se rassemblait :

« Je ne vous parlerai pas, dit Marat, d’une douzaine de nymphes à taille svelte, dont des vues politiques n’avaient pas, vraisemblablement motivé la réunion ; je ne vous parlerai pas d’un grand nombre d’officiers de la Garde nationale parisienne qui venaient faire leur cour au grand général (Dumouriez) ; je ne vous parlerai pas du maître de la maison, vêtu en histrion ; mais je vous parlerai de quelques masques que j’ai reconnus : c’étaient des messieurs de la Gironde, c’était Kersaint, c’était Chénier, c’était Lasource, c’était enfin le galopin libelliste Gorsas. Un spectacle douloureux m’a frappé : un patriote que j’estime, dont les vues, à la vérité, ne sont pas profondes, le commandant général de la garde nationale parisienne, faisait les fonctions de laquais ou d’introducteur. Dès l’instant qu’il m’aperçut, il s’est hâté de m’annoncer, indiscrétion qui m’a un peu peiné, parce qu’elle a donné le temps à certains masques de s’éclipser (1). »

Il y avait là Rohan-Chabot et Moreton. Guadet vit Dumouriez chez Talma, qui recevait Riouffe et les littérateurs La Harpe, Pougens, Chamfort et Murville.

Marat troubla la fête soudainement. Il était accompagné de Montaut et de Bentabole. Il demanda à Dumouriez des renseignements sur deux bataillons de volontaires de Paris, inculpés par lui. Quelques paroles furent échangées, après lesquelles Dumouriez tourna brusquement le dosa Marat.

On voyait, chez Talma, le chimiste Lavoisier, le poète Roucher, Legouvé, et beaucoup d’autres personnages connus dans le monde des artistes, des lettrés et de la politique ; somme toute, ce salon paraissait aristocratique. Plusieurs journaux parlèrent du souper fameux qui eut lieu chez Talma, lors du séjour de Dumouriez à Paris, en janvier 1793.

Plus tard, Bonaparte y vit la ci-devant danseuse Julie Talma. Il se lia intimement avec l’illustre tragédien, et ce fut de ce salon qu’il dirigea son coup d’État du 18 brumaire.

(1) Séance du Club des Jacobins, du mercredi 17 octobre 1792.