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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

Ils peuvent compter sur le libéralisme du président pour qu’il en soit à peu près ainsi. (Sourires.)

La parole est à M. Dronne.

Raymond Dronne. Mesdames, messieurs, des incidents sanglants se sont déroulés le 14 juillet à Paris, à l’occasion du défilé traditionnel de la place de la Bastille à la place de la Nation. Sept morts, de très nombreux blessés, plus de 150 : le bilan est tragique.

Gouverner, c’est prévoir. Il semble qu’en la circonstance le ministre de l’intérieur ait oublié cette règle élémentaire.

Je voudrais savoir, monsieur le ministre, si vous avez donné des instructions en prévision de cette manifestation et, dans l’affirmative, lesquelles.

Je voudrais savoir aussi pourquoi cette manifestation à été autorisée, alors que certains renseignements pouvaient légitimement susciter des craintes.

Le 14 juillet devrait être la fête de la liberté et de l’unité française. Elle ne devrait pas être l’occasion de manifestations partisanes.

Puisque la manifestation a été régulièrement autorisée, le rôle de la police aurait dû consister à en permettre le déroulement normal et pacifique.

Pour cela, il aurait fallu disposer des forces de police suffisantes le long du parcours, des forces de police dotées de moyens tels que les classiques et inoffensives grenades lacrymogènes pour s’opposer à toute menace de désordre sans effusion de sang. Il aurait fallu aussi que cette police pût s’opposer à ce que des éléments antagonistes se prennent à partie le long du défilé.

Les forces de police mises en place étaient — tout le monde le reconnaît — tout à fait insuffisantes. Le fait est que les agents débordés, isolés et menacés, ont fait usage de leurs armes sans sommation préalable.

Les forces de police ne devraient pas tirer ainsi sans sommation ; mais pour cela il aurait fallu qu’elles soient mieux étoffées, plus nombreuses et qu’elles soient plus conscientes de leur force.

Je sais bien que les gardiens de la paix ont un rôle extrêmement ingrat, difficile et dangereux. La plupart d’entre eux sont des gens très sympathiques. Mais il existe malheureusement parmi eux quelques éléments un peu trop nerveux.

Les manifestants de la place de la Nation étaient, pour la plupart, des Nord-Africains qui sont venus en France pour chercher du travail et qui y vivent, hélas ! misérablement.

Ces hommes déçus, pitoyables, mal logés, mal nourris — plus de 300.000, dit-on, en France — sont trop souvent séduits pour assurer leur existence à vivre en marge des règles normales et même des règles légales.

Leur misère en fait une proie idéale pour toutes les propagandes extrémistes. C’est parmi eux que les communistes recrutent leurs hommes de main, leurs commandos de choc.

Je vous apporterai, monsieur le ministre, un témoignage qui date de quelques semaines. À Paris, des colleurs d’affiches étaient suivis par une équipe adverse qui, immédiatement après leur passage déchirait les affiches ou les bariolait. Après un petit heurt habituel en cette matière, un Nord-Africain a reconnu avoir été recruté par les communistes, avoir été emmené sur place en camion, avoir reçu 1.000 francs, un casse-croûte et une arme pour faire ce travail.

L’existence de ce prolétariat nord-africain pitoyable crée un problème social qu’il faut absolument régler.

Ces Nord-Africains mieux traités, logés convenablement, assurés d’un travail et d’un gain réguliers, pourraient mener une existence plus heureuse. Ils seraient alors moins sensibles aux excitations des Messali Hadj et du parti communiste.

M. Gaston Palewski. Très bien !

M. Raymond Dronne. Monsieur le ministre, les incidents du 14 juillet soulignent l’ampleur et l’urgence du problème social et politique constitué par la présence de très nombreux Nord-Africains en France. Il vous appartient de vous y attaquer et de le résoudre rapidement, équitablement et humainement.

Il ne faut pas que la citoyenneté que nous avons généreusement accordée aux peuples d’outre-mer ne se traduise que par la misère d’un prolétariat nord-africain vivant en France et par l’alcoolisme pour les populations d’Afrique noire. Nos peuples d’outre-mer méritent mieux que cela. (Applaudissements à l’extrême droite et sur certains bancs au centre.)

M. le président. La parole est à M. Abdelkader Cadi.

M. Abdelkader Cadi. Mesdames, messieurs, au matin du 14 juillet 1953, le peuple de Paris ne ménageait pas ses applaudissements aux représentants de l’armée française. Ses vivats allaient indiscutablement tant aux soldats métropolitains qu’aux spahis algériens.

L’après-midi de ce jour de fête et de joie devait se terminer par des incidents sanglants. Sept jeunes Algériens étaient abattus par des coups de feu tirés par la police parisienne. Une centaines de manifestants étaient blessés.

Les journaux, suivant leur tendance politique, ont donné des versions contradictoires de l’origine de ces incidents. Les uns ont parlé de provocation policière, de racisme, les autres de commando communiste.

Le ministre de l’intérieur, dans un premier communiqué, a reconnu que les agents de police, submergés, avaient fait usage de leurs armes. Résultat, je l’ai dit : sept morts, cent blessés, tous Algériens.

De l’avis de tous, la manifestation s’était déroulée dans le calme. Les éléments européens, quelle que fût leur nationalité — j’insiste là-dessus — s’étaient déjà dispersés. C’est seulement au moment où la manifestation allait prendre fin que des bagarres éclatèrent entre le service d’ordre et les manifestants algériens, lesquels allaient se disperser à leur tour, en raison du violent orage survenu à ce moment.

La question se pose alors de savoir, monsieur le ministre de l’intérieur, qui a donné — et pourquoi — l’ordre à la police de se montrer plus rigoureuse à l’égard des manifestants algériens ?

Pourquoi la police perd-elle son sang-froid en présence d’Algériens ? Est-ce un mot d’ordre ?

Sinon, pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi une répression qui est allée jusqu’à la tuerie ?

La plupart de mes collègues algériens et moi-même sommes d’autant plus émus que, dans votre deuxième communiqué, celui d’hier, il est fait état de l’agression de deux paisibles citoyens par des éléments nord-africains, alors que des centaines de faits semblables, à travers la France, sont commis par des criminels européens.

N’est-ce pas là une tentative bien malhabile pour dresser l’opinion publique contre nos malheureux coreligionnaires ? Il me semble que certain article de la Constitution, qui nous est applicable à tous, interdit le racisme.

Depuis 1946, les Algériens sont citoyens français. Comme tels, ils ont droit, comme tous les autres citoyens, à la libre circulation, au travail et à la liberté d’expression. Originaires d’un pays où la misère est devenue un état normal pour la plus grande partie d’entre eux, ils viennent en France chercher du travail et non des balles meurtrières de vos agents de police.

Je développerai, à l’occasion de mon interpellation, la triste situation des travailleurs musulmans d’Algérie qui se trouvent en France ; mais, pour aujourd’hui, laissez-moi vous dire que les excès de votre police et nos morts ont marqué d’une pierre noire, pour tous les musulmans, la journée du 14 juillet 1953.

Ce sont, en réalité, les ennemis de la France qui sont les gagnants de cette tragique journée. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et au centre.)

M. le président. La parole est à M. d’Astier de la Vigerie. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. J’évoquerai, d’abord, brièvement les faits.

Le cortège, traditionnel, du 14 juillet a toujours été autorisé, Il l’était cette année encore.

M. Antoine Guitton. Il est autorisé à condition qu’il soit français.

M. Pierre Cot. Les Nord-Africains ne sont pas Français ?

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. M. Dronne s’est plaint que le cortège fût un cortège de partisans.

Je crois aussi que le cortège du 14 juillet 1789 pouvait être qualifié de cortège de partisans. (Applaudissements à l’extrême gauche.)