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de nouvelles forces par cette aversion générale dont ils le voient poursuivi ?

Un prince doit donc éviter ce fardeau de la haine ; et comme j’ai traité ailleurs la manière dont il peut y parvenir, je n’en parlerai point ici. S’il parvient donc à s’en garantir, il sera moins exposé aux coups d’un sujet offensé : d’abord, parce qu’il est rare qu’un homme ressente assez profondément une injure pour s’exposer à un péril si manifeste dans la seule vue de se venger ; et ensuite, parce que s’il s’en rencontrait un qui eût le pouvoir et le courage d’exécuter son dessein, il serait retenu par cette affection générale dont il verrait que le prince est l’objet.

On est outragé dans ses biens, dans sa personne, dans son honneur. Si l’outrage atteint la personne, la menace en est plus dangereuse que l’effet : car la menace seule offre de grands périls ; l’effet n’en présente aucun. Celui que l’on tue ne songe plus à se venger, et le plus souvent ceux qui lui survivent en laissent la pensée à celui qui n’est plus : mais celui qu’on menace et qui se voit pressé par la nécessité, ou d’agir, ou de souffrir, devient, comme nous dirons particulièrement ailleurs, un homme extrêmement dangereux pour le prince.

Après cette nécessité, ce sont les outrages faits à leurs richesses et à leur honneur qui blessent le plus profondément les hommes. Un prince doit surtout éviter de les commettre : il ne peut tellement dépouiller un homme de ses biens, qu’il ne lui reste un poignard pour se venger ; il ne peut tellement le déshonorer, qu’il ne lui reste une âme acharnée à la vengeance. De toutes les manières de flétrir l’honneur d’un homme, la plus sensible est d’abord l’outrage fait à sa femme, et ensuite le mépris qu’on a pour lui-même : c’est là ce qui arma Pausanias contre Philippe de Macédoine ; ce qui dirigea le fer contre tant de princes ; et, de nos jours,