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CHAPITRE III.

bres : pour les posséder en sûreté, il suffit d’avoir éteint la race du prince qui était le maître ; et si, dans tout le reste, on leur laisse leur ancienne manière d’être, comme les mœurs y sont les mêmes, les sujets vivent bientôt tranquillement. C’est ainsi que la Bretagne, la Bourgogne, la Gascogne et la Normandie, sont restées unies à la France depuis tant d’années ; et quand même il y aurait quelques différences dans le langage, comme les habitudes et les mœurs se ressemblent, ces États réunis pourront aisément s’accorder. Il faut seulement que celui qui s’en rend possesseur soit attentif à deux choses, s’il veut les conserver : l’une est, comme je viens de le dire, d’éteindre la race de l’ancien prince ; l’autre, de n’altérer ni les lois ni le mode des impositions : de cette manière, l’ancienne principauté et la nouvelle ne seront, en bien peu de temps, qu’un seul corps.

Mais, dans le second cas, c’est-à-dire quand les États acquis sont dans une autre contrée que celui auquel on les réunit, quand ils n’ont ni la même langue, ni les mêmes mœurs, ni les mêmes institutions, alors les difficultés sont excessives, et il faut un grand bonheur et une grande habileté pour les conserver. Un des moyens les meilleurs et les plus efficaces serait que le vainqueur vînt y fixer sa demeure personnelle : rien n’en rendrait la possession plus sûre et plus durable. C’est aussi le parti qu’a pris le Turc à l’égard de la Grèce, que certainement, malgré toutes ses autres mesures, il n’aurait jamais pu conserver s’il ne s’était déterminé à venir l’habiter.

Quand il habite le pays, le nouveau prince voit les désordres à leur naissance, et peut les réprimer sur-le-champ. S’il en est éloigné, il ne les connaît que lorsqu’ils sont déjà grands, et qu’il ne lui est plus possible d’y remédier.

D’ailleurs, sa présence empêche ses officiers de dévorer la province ; et, en tout cas, c’est une satisfaction