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c’est qu’on a négligé l’ordonnance qui permettait à une division de se reformer dans les rangs d’une autre ; c’est que, de nos jours, on ne peut organiser une bataille qu’au moyen de l’un des deux désordres suivants : ou l’on place les différents corps à côté les uns des autres, de sorte que les rangs présentent un front très-étendu sur peu de profondeur, ce qui n’offre point assez de résistance, attendu la faiblesse du front à la queue ; ou si, pour présenter plus de résistance, on donne, à l’exemple des Romains, plus de profondeur au corps de bataille, comme il n’existe point de disposition qui permette à une seconde division de recevoir la première lorsqu’elle est rompue, les troupes ne font que s’embarrasser réciproquement et compléter elles-mêmes leur déroute. En effet, si ceux qui combattent au premier rang sont repoussés, ils se jettent sur ceux du second ; si les seconds veulent marcher en avant, ils sont empêchés par le premier rang : de sorte que le premier rang se renversant sur le second, et le second sur le troisième, il en résulte une telle confusion, que souvent le plus léger accident suffit pour décider de la défaite d’une armée.

A la bataille de Ravenne, qui fut pour notre temps une des actions où l’on s’est le mieux battu, et dans laquelle le duc de Foix, général de l’armée française, perdit la vie, les deux armées française et espagnole adoptèrent l’un des systèmes de bataille dont nous venons de parler : elles disposèrent toutes leurs troupes sur une ligne extrêmement étendue ; de sorte qu’elles ne présentaient toutes deux pour ainsi dire qu’un front, et qu’elles avaient bien plus de longueur que de profondeur.

C’est le système que suivent toujours nos généraux lorsqu’ils doivent combattre dans une vaste campagne, comme est celle de Ravenne ; parce que, connaissant les désordres qui résultent de la rupture des rangs lorsqu’on se met par file, ils évitent cette méthode quand ils peuvent,