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XXII
NICOLAS MACHIAVEL.

traditionnels, et apprécier plus sûrement le génie du grand homme qui fait le sujet de cette étude.

Nous l’avons déjà dit, Machiavel a vécu bourgeoisement en exerçant des fonctions qui, malgré la pompeuse apparence du titre, n’en étaient pas moins fort secondaires. Cette influence personnelle qu’on lui a attribuée, il ne l’a pas recherchée, il ne l’a point obtenue, et il est impossible de trouver, en dehors des hypothèses des commentateurs, la preuve positive qu’elle ait existé réellement.

Laissons de côté les biographies modernes, en réservant toutefois le judicieux Ginguené, qui a vu sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, d’une manière plus exacte et plus sûre ; car, dans la plupart de ces biographies, nous rencontrerons presque toujours des écrivains placés à la distance des siècles, prévenus par l’esprit de parti ou troublés par cette vanité des savants dont parle Vico, vanité qui transforme la biographie en légende.

Interrogeons l’histoire ; elle est muette à l’égard du rôle politique de Machiavel. Silence absolu des écrivains de tous les partis, Guelfes ou Gibelins, de toutes les nationalités italiennes, Florentins, Lombards, Napolitains, Romagnols. Interrogeons les historiens français, allemands, espagnols du seizième siècle ; c’est toujours et partout le même silence. Le nom de Machiavel, dans le temps même où il a vécu, n’est mentionné que deux fois. La première par Guicciardin, dans une phrase très-insignifiante ; la seconde, et ici la mention est inévitable, sur la liste des personnes arrêtées lors de la conspiration de 1513. Certes, l’histoire n’a pas de ces réticences envers ceux qui ont réellement dominé les destinées de leur pays ; elle peut maudire, mais elle n’oublie pas.

Interrogeons les écrits de Machiavel : ses Légations, sa correspondance, sa vie et ses œuvres répondent comme l’histoire. Jamais dans ses Légations, dit justement M. Ferrari, il ne décida un succès qui le rendit indispensable, et dans la plus célèbre de ses missions, celle qu’il remplit auprès de César Borgia, duc de Valentinois, il sollicitait lui-même le gouvernement d’envoyer des hommes plus prépondérants, plus au courant des affaires et qui pussent mieux parler[1].

  1. Ferrari, Machiavel juge des révolutions de notre temps, p. 90 et 91.