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que c’est justement ce que tout le monde tâche d’éviter en philosophie. Ou me répond maintenant que c’est appeler de la raison à l’opinion vulgaire. Mais je réplique encore que cette opinion vulgaire, suivant laquelle il faut éviter en philosophant, autant qu’il se peut, ce qui surpasse les natures des créatures, est très raisonnable. Autrement rien ne sera si aisé que de rendre raison de tout, en faisant survenir une divinité, Deum ex machina, sans se soucier des natures des choses.

108. D’ailleurs, le sentiment commun des théologiens ne doit pas être traité simplement en opinion vulgaire. Il faut de grandes raisons pour qu’on ose y contrevenir, et je n’en vois aucune ici.

109. Il semble qu’on s’écarte de sa propre notion, qui demandait que le miracle soit rare, en me reprochant, quoique sans fondement, sur le § 31, que l’harmonie préétablie serait un miracle perpétuel ; si ce n’est qu’on ait voulu raisonner contre moi ad hominem.

Sur le § 43.

110. Si le miracle ne diffère du naturel que dans l’apparence et par rapport à nous, en sorte que nous appelions seulement miracle ce que nous observons rarement, il n’y aura point de différence interne réelle entre le miracle et le naturel ; et, dans le fond des choses, tout sera également naturel, ou tout sera également miraculeux. Les théologiens auront-ils raison de s’accommoder du premier, et les philosophes du second ?

111. Cela n’ira-t-il pas encore à faire de Dieu l’âme du monde, si toutes ses opérations sont naturelles, comme celles que l’âme exerce dans le corps ? Ainsi. Dieu sera une partie de la nature.

112. En bonne philosophie, et en saine théologie, il faut distinguer entre ce qui est explicable par les natures et les forces des créations, et ce qui n’est explicable que par les forces de la substance infinie. Il faut mettre une distance infinie entre l’opération de Dieu qui va au delà des forces des natures, et entre les opérations des choses qui suivent les lois que Dieu leur a données, et qu’il les a rendues capables de suivre par leurs natures, quoique avec son assistance.

113. C’est par là que tombent les attractions proprement dites, et autres opérations inexplicables par les natures des créatures, qu’il faut faire effectuer par miracle, ou recourir aux absurdités, c’est-à-