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les rend sources de leurs actions internes et pour ainsi dire des Automates incorporels.

19. Si nous voulons appeler âme tout ce qui a Perceptions et Appétits dans le sens général que je viens d’expliquer, toutes les substances simples ou Monades créées pourraient être appelées Âmes ; mais, comme le sentiment est quelque chose de plus qu’une simple perception, je consens que le nom général de Monades et d’Entéléchies suffise aux substances simples qui n’auront que cela, et qu’on appelle âmes seulement celles dont la perception est plus distincte et accompagnée de mémoire.

20. Car nous expérimentons en nous-mêmes un état, où nous ne nous souvenons de rien et n’avons aucune perception distinguée, comme lorsque nous tombons en défaillance ou quand nous sommes accablés d’un profond sommeil sans aucun songe. Dans cet état l’âme ne diffère point sensiblement d’une simple monade ; mais comme cet état n’est point durable, et qu’elle s’en tire, elle est quelque chose de plus (§ 64).

21. Et il ne s’ensuit point qu’alors la substance simple soit sans aucune perception. Cela ne se peut pas même par les raisons susdites ; car elle ne saurait périr, elle ne saurait aussi subsister sans quelque affection, qui n’est autre chose que sa perception : mais quand il y a une grande multitude de petites perceptions, où il n’y a rien de distingué, on est étourdi ; comme quand on tourne continuellement d’un même sens plusieurs fois de suite, ou il vient un vertige qui peut nous faire évanouir et qui ne nous laisse rien distinguer. Et la mort peut donner cet état pour un temps aux animaux.

22. Et comme tout présent état d’une substance simple est naturellement une suite de son état précédent, tellement que le présent y est gros de l’avenir (§ 360) ;

23. Donc, puisque réveillé de l’étourdissement on s’aperçoit de ses perceptions, il faut bien qu’on en ait eu immédiatement auparavant, quoiqu’on ne s’en soit point aperçu ; car une perception ne saurait venir naturellement que d’une autre perception, comme un mouvement ne peut venir naturellement que d’un mouvement (§§ 401, 403).

24. L’on voit par là que, si nous n’avions rien de distingué et pour ainsi dire de relevé, et d’un plus haut goût dans nos perceptions, nous serions toujours dans l’étourdissement. Et c’est l’état des Monades toutes nues.