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ligne d’une nature déterminée, que ce point a pris une fois pour toutes, et que rien ne lui fera jamais quitter. Et c’est ce que je crois pouvoir dire de plus précis et de plus clair, pour des esprits géométriques, quoique ces sortes de lignes passent infiniment celles qu’un esprit fini peut comprendre. Il est vrai que cette ligne serait droite, si ce point pouvait être seul dans le monde ; et que maintenant elle est due, en vertu des lois de mécanique, au concours de tous les corps : aussi est-ce par ce concours même qu’elle est préétablie. Ainsi j’avoue que la spontanéité n’est pas proprement dans la masse (à moins que de prendre l’univers tout entier, à qui rien ne résiste) ; car si ce point pouvait commencer d’être seul, il continuerait, non pas dans la ligne préétablie, mais dans la droite tangente. C’est donc proprement dans l’entéléchie (dont ce point est le point de vue) que la spontanéité se trouve : et au lieu que le point ne peut avoir de soi que la tendance dans la droite touchante, parce qu’il n’a point de mémoire, pour ainsi dire, ni de pressentiment, l’entéléchie exprime la courbe préétablie même ; de sorte qu’en ce sens rien n’est violent à son égard. Ce qui fait voir enfin comment toutes les merveilles du vaisseau, qui se conduit lui-même au port, ou de la machine qui fait les fonctions de l’homme sans intelligence, et je ne sais combien d’autres fictions qu’on peut objecter encore, et qui font paraître nos suppositions incroyables lorsqu’on les considère comme détachées, cessent de faire difficulté ; et comment tout ce qu’on avait trouvé étrange se perd entièrement, lorsqu’on considère que les choses sont déterminées à ce qu’elles doivent faire. Tout ce que l’ambition ou autre passion fait faire à l’âme de César est aussi représente dans son corps : et tous les mouvements de ces passions viennent des impressions des objets joints aux mouvements internes ; et le corps est fait en sorte que l’âme ne prend jamais de résolution que les mouvements du corps ne s’y accordent, les raisonnements même les plus abstraits y trouvant leur jeu, par le moyen des caractères, qui les représentent à l’imagination. En un mot, tout se fait dans le corps, à l’égard du détail des phénomènes, comme si la mauvaise doctrine de ceux qui croient que l’âme est matérielle, suivant Épicure et Hobbes, était véritable ; ou comme si l’âme même n’était que corps, ou qu’automate. Aussi ont-ils poussé jusqu’à l’homme, ce que les cartésiens accordent à l’égard de tous les autres animaux ; ayant fait voir en effet que rien ne se fait par l’homme avec toute sa raison, qui dans le corps ne soit un jeu d’images, de passions et de