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par là une pensée, vous ne demeurez pas d’accord que l’âme a plus de pensée et de connaissance du mouvement de la lymphe dans les vaisseaux lymphatiques que des satellites de Saturne : mais si j’entends quelque autre chose, vous ne savez (dites-vous) ce que c’est, et par conséquent (supposé que je ne puisse point l’expliquer distinctement) ce terme ne servira de rien pour faire connaître comment l’âme peut se donner le sentiment de la douleur, puisqu’il faudrait pour cela (à ce que vous voulez) qu’elle connût déjà qu’on me pique, au lieu qu’elle n’a cette connaissance que par la douleur qu’elle ressent. Pour répondre à cela, j’expliquerai ce terme que vous jugez obscur, et je l’appliquerai à la difficulté que vous avez faite. Une chose exprime une autre (dans mon langage) lorsqu’il y a un rapport constant et réglé entre ce qui se peut dire de l’une et de l’autre. C’est ainsi qu’une projection de perspective exprime son géométral. L’expression est commune à toutes les formes, et c’est un genre dont la perception naturelle, le sentiment animal et la connaissance intellectuelle sont des espèces. Dans la perception naturelle et dans le sentiment, il suffit que ce qui est divisible et matériel, et se trouve divisé en plusieurs êtres, soit exprimé ou représenté dans un seul être indivisible, ou dans la substance qui est douée d’une véritable unité. On ne peut point douter de la possibilité d’une telle représentation de plusieurs choses dans une seule, puisque notre âme nous en fournit un exemple. Mais cette représentation est accompagnée de conscience dans l’âme raisonnable, et c’est alors qu’on l’appelle pensée. Or, cette expression arrive par tout, parce que toutes les substances sympathisant avec toutes les autres et reçoivent quelque changement proportionnel, répondant au moindre changement qui arrive dans tout l’univers, quoique ce changement soit plus ou moins notable, ai mesure que les autres corps ou leurs actions ont plus ou moins de rapport au nôtre. C’est de quoi, je crois, que M. Descartes serait demeuré d’accord lui-même, car il accorderait sans doute qu’à cause de la continuité et divisibilité de toute la matière le moindre mouvement étend son effet sur les corps voisins, et par conséquent de voisin à voisin à l’infini, mais diminué à la proportion ; ainsi notre corps doit être affecté en quelque sorte par les changements de tous les autres. Or, à tous les mouvements de notre corps répondent certaines perceptions ou pensées plus ou moins confuses de notre âme, donc l’âme aussi aura quelque pensée de tous les mouvements de l’univers, et selon moi