Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
467
de la connaissance

corps humain ne saurait manquer de tomber sous les sens, quoique le contraire de l’un et de l’autre soit possible à Dieu. Vedelius aussi parait convenir de cette distinction. Mais on dispute quelquefois sur certains principes s’ils sont nécessaires logiquement, ou s’ils ne le sont que physiquement. Telle est la dispute avec les sociniens, si la substance peut être multipliée lorsque l’essence singulière ne l’est pas ; et la dispute avec les Zwingliens[1] si un corps ne peut être que dans un lieu. Or il faut avouer que toutes les fois que la nécessité logique n’est point démontrée, on ne peut présumer dans une proposition qu’une nécessité physique. Mais il me semble qu’il reste une question que les auteurs dont je viens de parler n’ont pas assez examinée, que voici : supposé que d’un côté se trouve le sens littéral d’un texte de la sainte Écriture, et que de l’autre côté se trouve une grande apparence d’une impossibilité logique, ou du moins une impossibilité physique reconnue, s’il est plus raisonnable de renoncer au sens littéral ou de renoncer au principe philosophique ? Il est sûr qu’il y a des endroits, où 1’on ne fait point difficulté de quitter la lettre, comme lorsque l’Écriture donne des mains à Dieu et lui attribue la colère, la pénitence, et autres affections humaines ; autrement il faudrait se ranger du côté des anthropomorphes, ou de certains fanatiques d’Angleterre, qui crurent qu’Hérode avait été métamorphosé effectivement en renard, lorsque Jésus-Christ l’appela de ce nom. C’est ici que les règles d’interprétation ont lieu, et si elles ne fournissent rien qui combatte le sens littéral pour favoriser la maxime philosophique, et si d’ailleurs le sens littéral n’a rien qui attribue à Dieu quelque imperfection, ou entraîne quelque danger dans la pratique de la piété, il est plus sûr et même plus raisonnable de le suivre. Ces deux auteurs que je viens de nommer disputent encore sur l’entreprise de Kekermann qui voulait démontrer la Trinité par la raison, comme Raymond Lulle[2] avait aussi tâché de faire autrefois. Mais Musaeus reconnaît avec assez d’équité que, si la démonstra-

  1. Les Zwingliens, sectateurs de Zwingle, réformateur suisse, né en Suisse, à Wildhaus, dans le comté de Tockenbourg. en 1484. Il introduisit la réforme en Suisse, en même temps que Luther en Allemagne. Il mourut en 1531, dans le combat de Cappel. Ses œuvres complètes ont été publiées à Zurich, en 4 vol. in-fol., 1544-45. P. J.
  2. Lulle (Raymond), né à Palma, dans l’île de Majorque, en 1235, mort à Bougie en 1315, martyr des musulmans, après une vie très romanesque et très agitée, célèbre par l’invention du Grand Art, système qui réduisait tous les raisonnements à un mécanisme. Ses œuvres complètes ont été publiées à Mayence en 10 vol. in-fol., 1721. P. J.