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nouveaux essais sur l’entendement

même pour une fausseté de très dangereuse conséquence. Cependant il me semblait autrefois, et il semble encore à quelques-uns de mes amis, que je ne saurais encore désabuser, que ce n’est qu’en vertu d’un préjugé fondé sur cette fausse supposition que ces deux noms homme et bête signifient des espèces distinctes, si bien marquées par des essences réelles dans la nature que nulle autre espèce ne peut intervenir entre elles, comme si toutes les choses étaient jetées au moule suivant le nombre précis de ces essences. § 14. Quand on demande à ces amis, quelle espèce d’animaux sont ces innocents, s’ils ne sont ni hommes ni bêtes, ils répondent que ce sont des innocents et que cela suffit. Quand on demande encore ce qu’ils deviendront dans l’autre monde ; nos amis répondent qu’il ne leur importe pas de le savoir ni de le rechercher. Qu’ils tombent ou qu’ils se soutiennent, cela regarde leur maître, Rom. xiv, 4, qui est bon et fidèle et ne dispose point de ses créatures suivant les bornes étroites de nos pensées ou de nos opinions particulières, et ne les distingue pas conformément aux noms et espèces qu’il nous plaît d’imaginer ; qu’il nous suffit que ceux qui-sont capables d’instruction seront appelés à rendre compte de leur conduite et qu’ils recevront leur salaire selon ce qu’ils auront fait dans leur corps. II. Corinth. v. 10, § 15. Je vous représenterai encore le reste de leurs raisonnements. La question, disent-ils, s’il faut priver les imbéciles d’un état à venir, roule sur deux suppositions également fausses ; la première que tout être qui a la forme et apparence extérieure d’homme est destiné à un état d’immortalité après cette vie ; et la seconde, que tout ce qui a une naissance humaine doit jouir de ce privilège. Ôtez ces imaginations, et vous verrez que ces sortes de questions sont ridicules et sans fondement. Et en effet je crois qu’on désavouera la première supposition, et qu’on n’aura pas l’esprit assez enfoncé dans la matière pour croire que la vie éternelle est due à aucune figure d’une masse matérielle, en sorte que la masse doive avoir éternellement du sentiment, parce qu’elle a été moulée sur une telle figure. §. 16. Mais la seconde supposition vient au secours. On dira que cet innocent vient de parents raisonnables et que par conséquent il faut qu’il ait une âme raisonnable. Je ne sais par quelle règle de logique on peut établir une telle conséquence et comment après cela on oserait détruire des productions mal formées et contrefaites. Oh ! dira-t-on, ce sont des monstres ! Eh bien, soit. Mais que sera cet innocent toujours intraitable ? Un défaut dans le corps fera-t-il un