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œuvres de leibniz

vous pouvez en conserver l’effigie, et en quelque sorte la silhouette, la figure géométrique sur le fond de l’espace vide ? Vous obtenez ainsi une portion d’espace, que j’appellerai un atome vide, en opposition à l’atome plein qui l’occupait tout à l’heure.

Cela posé, je demande aux atomistes de m’expliquer ce qui distingue un atome plein d’un atome vide, quels sont les caractères qui se rencontrent chez l’un et ne se rencontrent pas chez l’autre. Est-ce d’être étendu ? Non, car l’atome vide est étendu comme l’atome plein. Est-ce d’être figuré ? Non, car l’atome vide est figuré comme l’atome plein, et a exactement la même figure ? Est-ce d’être invisible ? Non, car il est encore plus difficile de comprendre la division de l’espace que la division des corps ? En un mot, tout ce qui tient à l’étendue est absolument identique dans l’atome vide et dans l’atome plein. Or, l’atome vide n’est pas un corps et n’a rien de corporel ; donc l’étendue n’est pas l’essence des corps, et ne fait peut-être pas même partie de cette essence. Dira-t-on que c’est ; le mouvement qui distingue l’atome plein de l’atome vide ? Mais avant de se mouvoir, il faut que l’atome soit déjà quelque chose ; car ce qui ne serait rien par soi-même ne pourrait être ni en repos ni en mouvement ; le mouvement n’est donc qu’un phénomène dépendant et subordonné, qui suppose déjà une essence déterminée. Examinez bien : vous verrez que ce qui distingue essentiellement l’atome plein de l’atome vide, c’est la solidité ou la pesanteur. Mais ni la solidité ni la pesanteur ne sont des modifications de l’étendue ; et l’une et l’autre dérivent de la force. C’est donc véritablement la force et non l’étendue qui constitue l’essence du corps.

Si, au contraire, comme les cartésiens, on ne veut admettre aucun vide et si l’on soutient que tout est plein, la démonstration est encore plus simple ; car on peut demander alors en quoi l’espace plein, pris dans son entier, se distingue de l’espace vide, pris dans son entier. L’un et l’autre sont infinis, l’un et l’autre sont idéalement divisibles et réellement