Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/161

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cer, mon cher ami, et voyons si nous nous entendrons mieux sur le second point de mon acte d’accusation contre la fortune, comme dirait cet embrouilleur d’affaires. J’appartiens à une secte opprimée, à une religion proscrite, et, loin que ma dévotion me fasse honneur, le juge Inglewood peut m’envoyer à la maison de correction, parce que j’adore Dieu à la manière de mes ancêtres, et me dire, comme le vieux Pembroke à l’abbesse de Wilton, quand il s’empara de son couvent : Allez filer, femme[1], allez filer.

— Ce n’est point là un mal sans remède, lui répondis-je d’un ton grave ; consultez quelques-uns de nos ministres les plus instruits ; ou plutôt consultez votre excellente raison, miss Vernon, et vous reconnaîtrez que les différences qui séparent notre croyance de celle où vous avez été élevée…

« Chut ! » dit Diana en plaçant son doigt sur sa bouche ; « chut ! pas un mot de plus sur ce sujet. Abandonner la foi de mes ancêtres ! Si j’étais homme, abandonnerais-je leur bannière au moment où la fortune se déclare contre elle, pour passer comme un traître du côté de l’ennemi victorieux ?

— J’honore la noblesse de vos sentiments, miss Vernon ; quant aux inconvénients auxquels elle vous expose, je vous dirai seulement que les blessures que nous recevons en obéissant à notre conscience portent leur baume avec elles.

— Oui, mais elles n’en sont pas moins cruelles et cuisantes. Je vois que vous avez le cœur très-dur, et que le sort auquel je puis être réduite, de battre du chanvre ou de filer du lin, vous touche aussi peu que l’obligation où je suis de porter une coiffe et des bonnets au lieu d’un chapeau et d’une cocarde ; ainsi je m’épargnerai l’inutile peine de vous dire mon troisième sujet de plainte.

— Je vous en prie, ma chère miss Vernon, ne me retirez pas votre confiance, et je vous promets que le triple tribut de compassion

  1. Le monastère de Wilton fut accordé au comte de Pembroke lorsqu’il eut été supprimé par Henri VIII ou son fils Édouard VI. À l’avènement de la reine Marie, de catholique mémoire, le comte fut forcé de rendre le couvent à l’abbesse et à ses belles recluses, ce qu’il fit en exprimant ses remords, s’agenouillant humblement devant les vierges, et les ramenant dans les possessions d’où il les avait chassées. À l’avènement d’Élisabeth, il se refit protestant ; et chassa une seconde fois les religieuses de leur couvent. Les remontrances de l’abbesse, qui lui rappelait l’expression de son repentir, ne purent lui arracher d’autre réponse que ces mots ; « Allez filer, femmes, allez filer. » a. m.