Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/83

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je me souviens d’avoir vu une personne qui l’avait connu et aimé ; miss Lucy Saint-Aubin, qui, par amour pour lui, vécut et mourut fille, quoiqu’elle fût une des plus belles et des plus riches héritières du comté ; tout le monde la demandait en mariage, mais jusqu’à son dernier jour elle porta le deuil de veuve pour son pauvre William à qui elle avait été fiancée, et mourut en… je ne me rappelle pas précisément la date, mais c’était, je crois, dans le mois de novembre de l’année où, se trouvant malade, elle demanda à être transportée à Waverley-Honour, à revoir encore une fois tous les lieux où elle s’était trouvée avec mon grand-oncle ; elle fit lever les tapis pour voir les traces de son sang, et si les larmes eussent pu les effacer, on n’y verrait plus rien aujourd’hui ; car tout le monde fondait en larmes dans la maison ! On eut dit, Édouard, que les arbres eux-mêmes prenaient part à sa douleur, car sans le moindre vent les feuilles tombaient autour d’elle, et en effet elle avait tout l’air de quelqu’un qui ne devait plus les voir reverdir. »

Après ces récits, notre héros se retirait dans la solitude pour se livrer tout entier aux impressions qu’il en avait éprouvées : il passait des heures dans un coin de la vaste et sombre bibliothèque, éclairée par la seule lueur de quelques tisons se mourant dans l’âtre immense, à se plonger dans cette magie interne qui met en action et sous les yeux du rêveur les événements passés ou imaginaires. Il voyait se dérouler devant lui toute la pompe splendide d’une fête nuptiale à Waverley ; la taille élevée et le corps amaigri du maître du château, quand, sous les habits de pèlerin, il survint, spectateur inattendu, à la noce de son héritier supposé et de sa fiancée ; le choc électrique que chacun ressentit lorsqu’il se fit reconnaître ; le tumulte des vassaux courant aux armes ; l’étonnement du fiancé ; la terreur et la confusion de l’accordée ; l’angoisse de Wilibert en s’apercevant que le cœur de celle qu’il aimait n’était plus à lui : son air de dignité et de douleur profonde, lorsqu’il repoussa dans le fourreau son épée à demi tirée, et quitta pour jamais l’habitation de ses ancêtres. Changeant ensuite de scène, son imagination complaisante lui présentait toute l’action tragique racontée par sa tante Rachel ; il voyait lady Waverley assise sous un berceau, en des transes horribles, prêtant l’oreille à chaque son, écoutant décroître le bruit des pas du cheval du roi, et, quand ce bruit expira, croyant ouïr, au moindre souffle du vent dans les arbres du parc, le bruit d’un combat lointain : sou-