Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une habileté merveilleuse, a choisi le moment où il est réduit au désespoir pour offrir à ses regards un objet plus accompli que celui dont il vient d’essuyer les refus, et qui est disposé à mieux répondre à sa tendresse. Je ne connais pas de situation plus habilement calculée pour exciter l’ardeur de l’amour de Roméo que de le faire passer de l’état de mélancolie profonde où il est plongé au commencement de la scène, à cet état de ravissement où il s’écrie :


Qu’importe le chagrin dont je suis oppressé !
Un seul moment que je la voie,
Et par un océan de joie
Ce noir chagrin sera vite effacé. »


« Bon Dieu, miss Mac-Ivor, dit une jeune dame de qualité, entendez-vous nous dépouiller de nos prérogatives ? voulez-vous nous persuader que l’amour ne peut se fixer sans espérance, et que l’amant peut être inconstant si la dame est cruelle ? Fi donc ! je ne me serais pas attendue à une opinion si contraire à la véritable sensibilité. »

« Un amant, ma chère lady Betty, dit Flora, peut persévérer dans sa passion malgré les circonstances les plus décourageantes. L’amour (maintenant comme au temps de Roméo) peut résister aux orages des plus cruelles rigueurs ; mais il se glace à la température d’une froideur raisonnée. Quelque puissante que soit l’attraction de vos charmes ; croyez-moi, n’en faites jamais l’expérience sur un amant dont vous estimeriez la tendresse. L’amour, pour subsister, n’a besoin que du plus faible espoir ; mais, sans aucun espoir, il s’éteint. »

« C’est justement, dit Evan, comme la jument de Duncan Mac-Gidie, si vous excusez, mesdames, cette comparaison : il voulait l’habituer à se passer de manger ; et le jour où il en était venu à ne lui plus donner qu’une petite poignée de paille, la pauvre bête mourut. »

L’exemple cité par Evan excita le rire de la compagnie, et la conversation changea de sujet. Quand on se fut séparé, et qu’Édouard fut revenu chez lui, réfléchissant sur ce que Flora avait dit : « Je n’aimerai pas davantage ma Rosalinde, s’écria-t-il ; elle m’y a assez clairement invité. Je le déclarerai à son frère, et je ne pousserai pas plus loin mes prétentions à sa main. Mais une Juliette !… Serait-il loyal d’aller sur les brisées de Fergus ? quoiqu’il soit possible qu’il ne connût jamais… » S’il éprouvait un