Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/58

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son d’hommes du sud, les facultés d’un démon plutôt que celles d’un simple mortel ; car les soldats anglais affirmaient tous que s’il leur arrivait de maudire l’ennui de la garde et de la surveillance perpétuelles que leur imposait le Château Dangereux, une grande ombre leur apparaissait aussitôt avec une hache d’armes à la main : le fantôme, entrant en conversation de la manière la plus insinuante, ne manquait jamais, avec une éloquence et une adresse égales à celles d’un esprit déchu, d’indiquer au factionnaire mécontent quelque moyen, grâce auquel, en se prêtant à trahir les Anglais, il se remettrait en liberté. La diversité de ces incidents et la fréquence de leur retour tenaient l’inquiétude de sir John de Walton constamment en haleine : il ne se croyait jamais exactement hors de l’atteinte de Douglas, de même que le bon chrétien ne peut se supposer hors de la portée des griffes du diable ; car toute nouvelle tentation, au lieu de confirmer une espérance de salut, semble annoncer que la retraite immédiate du malin esprit sera suivie par quelque nouvelle attaque encore plus habilement combinée. Sous l’influence de cet état continuel d’anxiété et d’appréhension, le caractère du gouverneur ne changea point en bien, comme on doit le penser. Ceux qui le chérissaient le plus regrettaient beaucoup qu’il s’acharnât sans cesse à se plaindre d’un manque de diligence de la part de ses subordonnés ; et ceux-ci, en effet, ne se trouvant ni investis d’une responsabilité pareille à celle du chef, ni animés par l’espérance de récompenses aussi splendides, ne pouvaient pas entretenir des soupçons si continuels et si exagérés. Les soldats murmuraient donc de ce que la vigilance de leur gouverneur dégénérait en dureté ; les officiers et les hommes de rang, qui étaient en assez grand nombre, attendu que le château était une célèbre école militaire, et qu’il y avait un certain mérite rien qu’à servir dans l’enceinte de ses murs, se plaignaient en même temps que sir John de Walton eût interrompu les parties de chasse aux chiens et aux faucons, et ne songeât plus qu’à maintenir l’exacte discipline du château. D’un autre côté, il faut remarquer en général qu’un château fort est toujours bien tenu quand le gouverneur observe strictement la discipline ; et quand il survient dans une garnison des disputes et des querelles personnelles, les jeunes gens sont d’ordinaire plus en faute que ceux qu’une plus grande expérience a convaincus de la nécessité des plus rigoureuses précautions.

Voilà comment un esprit généreux (et tel était celui de sir John de Walton) est souvent changé et corrompu par l’habitude d’une