Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/353

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Ce fut avec une douleur inexprimable que cette femme malheureuse, et livrée au plus triste abandon, vit ainsi s’évanouir sa seule espérance d’appui et de protection, sans pouvoir en concevoir la cause ; car, pour lui rendre justice, l’idée que son ami, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Nigel Grahame, avait pu lui en imposer (idée qui aurait pu venir à plus d’une personne dans sa position), ne se présenta seulement pas à son esprit. Quoique, par caractère, elle ne se pliât pas facilement à la prière, elle ne put s’empêcher de s’écrier, lorsqu’elle vit le marchand irrité rentrer chez lui : « Mon bon monsieur, écoutez-moi un moment, par compassion… par humanité… — Compassion et humanité ! » s’écria l’Écossais, qui, sans chercher à s’opposer à la retraite de son antagoniste, restait bravement maître du champ de bataille : « vous pourriez autant vous attendre à tirer de l’eau-de-vie d’une tige de haricots, ou du lait d’un rocher. Cet homme est fou, fou à lier, qui plus est. — Je me suis sans doute méprise sur la personne à qui cette lettre est adressée, » dit mistress Martha Traphois ; et tout en parlant, elle fit un mouvement comme pour se baisser afin de ramasser le papier qui venait d’être si mal reçu. Son compagnon, par civilité, voulut lui en éviter la peine ; mais, ce qui n’était pas autant dans les règles du savoir-vivre, il jeta un regard furtif avant de le lui remettre, et la signature ayant frappé ses yeux, il s’écria avec surprise : « Glenvarloch… Nigel Olifaunt de Glenvarloch ! Connaissez-vous le lord Glenvarloch, madame ? — Je ne sais pas de qui vous parlez, » dit mistress Martha brusquement… « J’ai reçu une lettre d’un certain M. Nigel Grahame. — Nigel Grahame ! hum ! Oh ! oui, c’est vrai, je n’y pensais plus, répondit l’Écossais. N’est-ce pas un jeune homme bien fait, à peu près de ma taille, avec des yeux bleus brillants comme ceux d’un faucon ; un parler agréable, se rapprochant un peu de l’accent du Nord, mais très-peu, parce qu’il a long-temps habité l’étranger ? — Tout cela est vrai ; mais qu’est-ce que cela prouve ? demanda la fille de l’avare. — Des cheveux de la couleur des miens ?… — Les vôtres sont rouges. — Attendez, je vous prie, reprit l’Écossais ; j’allais dire d’un châtain plus foncé… Eh bien ! madame, si j’ai deviné juste, c’est un seigneur avec lequel j’ai été très-intime et très-familier, auquel je puis même dire que j’ai rendu beaucoup de services dans mon temps, et à qui j’espère bien en rendre encore d’autres. Je lui veux réellement du bien, et je soupçonne qu’il a été fort en peine depuis que nous nous sommes séparés ; mais ce