Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/294

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cour pour des années, sinon pour toute sa vie, et vous connaissez le vieux proverbe… « Les absents ont toujours tort. » — C’est vrai, très-vrai ; vous parlez comme un oracle, très-sage Ursule. — Oui, oui, je savais bien que vous finiriez par entendre raison, » dit l’artificieuse commère. « Ainsi donc, quand le lord en question sera bien loin et parti une fois pour toutes, quel est celui, je vous prie, qui doit être le confident de notre jolie capricieuse, et remplir le vide de ses affections ? Qui ? si ce n’est toi, la perle des apprentis ! D’ailleurs, vous aurez fait violence à vos inclinations pour vous soumettre aux siennes, et il n’y a pas de femme qui ne soit sensible à cela… Vous aurez aussi couru quelque risque pour accomplir ses désirs ; et qu’est-ce qui plaît plus à une femme que le courage et le dévouement à sa volonté ! Ensuite vous posséderez son secret, ce qui l’obligera à vous traiter avec égard et déférence, à mettre sa confiance en vous, à vous parler en particulier, jusqu’à ce qu’enfin elle en vienne à ne plus pleurer que d’un œil l’amant absent qu’elle ne doit jamais revoir, et à sourire tendrement de l’autre à celui qui sera près d’elle. Alors, si vous ne savez pas profiter des circonstances où vous vous trouverez, vous n’êtes pas le jeune gaillard leste et adroit pour lequel on vous prend dans le monde… Ai-je bien dit ? — Vous avez parlé comme une impératrice, éloquente Ursule, dit Jenkin Vincent, et votre volonté sera faite. — Vous connaissez bien l’Alsace ? — Pas mal, pas mal, » répondit-il en secouant la tête, « j’y ai entendu rouler les dés autrefois, avant de faire le gentilhomme et de me mêler aux muscadins qui vont chez le chevalier Beaujeu, comme on l’appelle ; et des deux, le dernier est assurément le pire guet-apens, quoique l’apparence en soit plus brillante. — Et l’on a sans doute de la considération pour toi dans cet endroit ? — Oui, oui ; quand j’aurai repris mon pourpoint de gros drap et ma batte, je suis en état de me promener dans l’Alsace à minuit comme dans Fleet-Street en plein jour… Il n’y en a pas un qui ose faire le tapageur avec le prince des apprentis et le roi des bâtons… Ils savent que d’un mot je pourrais leur faire tomber sur les bras tous les grands garçons du quartier. — Et vous connaissez bien les bateliers ? — Je puis converser avec chacun d’eux dans son jargon, depuis Richmond jusqu’à Gravesend, et je connais tous les matadors de la rivière, à compter de John Taylor le poète jusqu’au petit Grigg le grimacier, qui ne donne jamais un coup de rame sans ouvrir la bouche jusqu’aux oreilles. — Et