Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/289

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La bonhomie anglaise de Jin Vin ne put résister à ce puissant appel. Il prit l’autre verre, et ayant bu amicalement à la santé de la dame, en signe de réconciliation, il entreprit, en murmurant encore un peu, de faire quelques excuses sur son emportement.

« Car vous savez, dit-il, que c’est vous qui m’avez persuadé de me procurer ces beaux habits, d’aller à ce maudit Ordinaire, de me mêler à tous ces grands seigneurs, et de venir vous rapporter les nouvelles… C’est vous qui m’avez répété que moi, le coq de mon village, je deviendrais bientôt le coq de l’Ordinaire. À vous entendre, je devais gagner au gleek et au primero dix fois autant qu’à nos jeux de bourgeois et d’apprentis ; les dés devaient me réussir aussi bien que les quilles… Puis, vous ajoutiez que les nouvelles apprises par moi à l’Ordinaire, d’après le parti que vous en sauriez tirer, feraient notre fortune à tous deux ; et maintenant vous voyez ce qui en est résulté. — Tout ce que tu dis là est vrai, mon garçon, répondit la dame ; mais il faut prendre patience… Rome n’a pas été bâtie en un jour… Vous ne pouvez vous habituer à votre habit de cour en un mois de temps, pas plus que lorsque vous avez échangé les longues robes pour les culottes ; et quant à ce qui est du jeu, on doit s’attendre à y perdre comme à y gagner… c’est le joueur qui se lève le dernier qui fait rafle de tout. — Ce que j’en sais, c’est que j’ai tout perdu, répondit Jin Vin, et je voudrais en être quitte pour cela ; mais je dois encore toute cette belle parure : le jour de rendre mes comptes approche ; mon maître les trouvera en défaut d’une vingtaine de pièces au moins : il s’en prendra à mon vieux père pour les remplacer ; et moi.. je n’aurai d’autre ressource que de me pendre pour en éviter la peine au bourreau, ou de faire le voyage de la Virginie. — Ne parlez pas si haut, mon cher enfant, dit dame Ursule… Mais dites-moi pourquoi vous n’empruntez pas à un ami pour remettre vos comptes en règle ? vous pourriez le lui rendre quand ce serait son tour. — Non, non, j’ai assez de tout cela, dit Jin Vin : Tunstall me prêterait bien cet argent, le pauvre garçon, s’il l’avait lui-même ; mais sa famille, plus pauvre que noble, le dépouille de tout, et le laisse aussi nu qu’un bouleau à Noël… Non, non : mon sort peut s’écrire en cinq lettres, ruine. — Chut ! chut ! poule mouillée que vous êtes ; n’avez-vous jamais entendu dire que c’est quand le malheur est au comble que le secours est le plus proche ? Il est encore possible que nous vous aidions, et plus tôt que vous ne croyez. Je vous assure que je ne vous aurais