Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/91

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Après avoir prononcé ces mots d’un ton mélancolique, mais ferme, il quitta l’appartement.

« Je suis charmé que tu sois parti, pensa Varney ; car, quelque habitué que je sois aux folies des hommes, je n’aurais pu m’empêcher de te rire au nez. Tu peux te lasser, si tu veux, de ton nouveau joujou, de cette jolie fille d’Ève, je ne m’y opposerai pas ; mais ton vieux hochet d’ambition, tu ne t’en déferas pas aussi aisément ; car en gravissant la montagne, milord, il faut que vous traîniez avec vous Varney, et s’il peut vous faire atteindre plus vite le but de ses espérances, il ne ménagera ni le fouet ni l’éperon… Quant à vous, ma jolie dame, qui voudriez être comtesse tout de bon, vous ferez bien de ne pas traverser mes projets, ou bien vous pourriez faire d’un vieux compte un nouveau… « Tu seras le maître, » a-t-il dit. Par ma foi ! il pourra se faire qu’il ait dit plus vrai qu’il ne pensait. Voilà comment celui qui, dans l’opinion de tant d’hommes sensés, peut marcher de front avec Burleigh et Walsingham pour la politique, et avec Sussex pour les talents militaires, devient le pupille d’un de ses serviteurs ; le tout pour une prunelle noire, pour un minois coloré de rouge et de blanc ; et il n’en faut pas davantage pour supplanter son ambition ! Et cependant, si les charmes d’une mortelle peuvent excuser l’égarement d’un personnage politique, milord avait cette excuse à sa droite dans la délicieuse soirée qui vient de s’écouler pour nous. Quoi qu’il en soit, laissons les choses aller leur train, il me rendra puissant, ou je saurai me rendre heureux moi-même ; et quant à ce joli échantillon de la création, si elle ne parle pas de son entrevue avec Tressilian, comme je pense bien qu’elle n’osera le faire, il faudra qu’il y ait échange de discrétion et de services mutuels entre nous, malgré ses dédains… Il faut que j’aille à l’écurie… Fort bien, milord, je vais commander nos chevaux ; mais le temps viendra, peut-être bientôt, où mon écuyer commandera les miens. »

À ces mots, il quitte l’appartement.

Pendant ce temps-là le comte était rentré dans la chambre à coucher pour prendre à la hâte congé de son aimable comtesse ; car il osait à peine s’exposer à une entrevue avec elle, tant il craignait qu’elle ne lui réitérât des demandes auxquelles il lui était difficile de résister, quoique sa dernière conversation avec son écuyer l’eût bien déterminé à ne pas y souscrire.

Il la trouva enveloppée dans une simarre de soie blanche doublée de fourrures ; ses petits pieds, nus encore, avaient chaussé à