Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/439

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qu’elles ne l’avaient eu précédemment, et il essayait de se faire passer à ses propres yeux pour un homme plus outragé que coupable.

« J’ai reçu le plus cruel outrage, pensait-il, cependant je me suis interdit la vengeance immédiate qui était en mon pouvoir, et l’ai bornée à celle qui est digne d’un homme généreux. Mais l’union qui existe entre moi et cette femme perfide demeurera-t-elle comme un lien destiné à m’arrêter éternellement dans la noble carrière que m’ouvre ma destinée ? Non, il est d’autres moyens de rompre de tels nœuds sans attaquer les sources de la vie. Aux yeux de Dieu je ne suis plus engagé que par une union qu’elle a rompue. Des royaumes entiers nous sépareront, l’Océan mugira entre nous, et ses flots, dont les abîmes ont dévoré des flottes entières, seront les seuls confidents de cet affreux secret. »

C’est par une suite de réflexions de ce genre que Leicester essayait de réconcilier sa conscience avec des projets de vengeance si précipitamment adoptés, et des desseins ambitieux tellement identifiés avec toutes les actions de sa vie, dont ils étaient devenus le but principal, qu’il ne pouvait trouver la force d’y renoncer. Au milieu de ces raisonnements, cette vengeance se revêtit insensiblement à ses yeux des couleurs de la justice, et même d’une modération généreuse.

Dans une pareille disposition d’esprit, le vindicatif et ambitieux lord entra dans l’enceinte superbe des jardins, alors éclairés par la pleine lune. Sa lumière, d’un jaune pâle, se reflétait de tous côtés sur les blanches pierres de taille dont le pavé, les balustrades et les ornements d’architecture étaient revêtus. Pas un nuage ne se montrait sur le sombre azur du ciel, en sorte que la clarté était presque aussi grande que si le soleil venait de quitter l’horizon. Les nombreuses statues de marbre blanc paraissaient, à ce jour incertain, comme autant de spectres couverts de leurs linceuls et sortant du tombeau ; les gerbes d’eau qui s’élevaient dans les airs reflétaient les rayons argentés de la lune, puis retombaient en pluie étincelante dans les vastes bassins préparés pour les recevoir. La journée avait été brûlante, et le doux zéphyr qui effleurait de son aile la terrasse du jardin était aussi léger que le vent produit par l’éventail d’une jeune beauté. L’oiseau des nuits d’été avait élevé plus d’un nid dans les jardins adjacents, et leurs habitants, se dédommageant alors du silence qu’ils avaient gardé pendant le jour, formaient un concert de gazouillements enchanteurs, tantôt joyeux, tantôt mélancoliques : tantôt mêlant leurs voix, tantôt se répon-