Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/383

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naître de tels enchantements, et qu’elle soit ici à les contempler comme une proscrite, sinon comme une captive ! »

L’harmonie soutenue, prolongée et répétée qui éclata de tant de côtés différents et sur tant de points éloignés, et résonna comme si non seulement le château de Kenilworth, mais tout le pays environnant eût été en même temps le théâtre de quelque grande solennité nationale, oppressa encore son cœur d’un sentiment plus douloureux. Il lui semblait, dans les sons lointains et expirants de certains accords, reconnaître l’accent de la compassion, tandis que d’autres éclataient avec bruit à ses oreilles, et paraissaient insulter à sa misère par le contraste d’une gaîté sans frein. « Cette musique, se disait-elle, m’appartient, puisqu’elle est à lui. Cependant je ne puis pas dire : Cessez… Ces accords bruyants ne me conviennent pas, et la voix du plus chétif des paysans qui se mêlent à la danse aurait plus de pouvoir pour moduler cette harmonie que l’ordre de celle qui est maîtresse de ces lieux. »

Par degrés le bruit de la fête s’affaiblit, et la comtesse se retira de la fenêtre auprès de laquelle elle s’était assise pour y prêter l’oreille. Il faisait nuit, mais la lune donnait une vive clarté dans la chambre, de sorte qu’Amy put y faire les dispositions qu’elle jugea nécessaires. Elle avait l’espoir que Leicester viendrait à son appartement aussitôt que la fête du château serait terminée ; mais il y avait à craindre aussi qu’elle ne fût troublée par quelque importun. Elle avait perdu toute confiance dans la clef, depuis que Tressilian était entré si facilement, quoique la porte fut fermée en dedans. Cependant tout ce qu’elle put imaginer pour ajouter à sa sécurité fut de placer la table devant la porte, afin d’être avertie par le bruit si quelqu’un faisait une tentative pour entrer. Ayant pris ces précautions nécessaires, l’infortunée comtesse s’étendit sur son lit, s’y abandonna à la rêverie d’une inquiète attente, et compta plus d’une heure après minuit, jusqu’à ce que la nature épuisée l’emportant sur l’amour, la douleur, la crainte, même sur l’incertitude, elle finit par s’endormir.

Oui, elle dormit ; l’Indien attaché au poteau dort aussi dans les intervalles de ses tortures, et de même les tourments de l’âme épuisent par leur durée la sensibilité de celui qui en est la proie, et quelques moments d’un repos léthargique doivent nécessairement les suivre avant que de semblables angoisses puissent se renouveler.

La comtesse dormit donc quelques heures, et rêva qu’elle était