Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles de tous les autres, et un peu blessé de cet étrange procédé il lui en demanda franchement le motif.

Blount répondit avec la même sincérité ; « Mon bon Walter, je te souhaite autant de bien que pas un de ces babillards qui t’assourdissent de leurs compliments parce que le temps semble te favoriser. Mais je crains pour toi, Walter, ajouta-t-il en essuyant son œil humide ; je crains pour toi de toute mon âme. Ces intrigues de cour, ces flatteries, ces éclairs de faveur des belles dames, sont des séductions qui souvent anéantissent les plus belles fortunes, et conduisent de jolies figures, et des sots réputés gens d’esprit, à faire connaissance avec le billot et la hache. »

À ces mots Blount se leva et quitta la salle, tandis que Raleigh le suivait des yeux avec une expression sous laquelle disparurent en un instant l’assurance et la vivacité ordinaires de sa physionomie.

En ce moment Stanley entra dans la salle, et dit à Tressilian : « Milord demande votre serviteur Wayland, et Wayland vient d’arriver dans un petit bateau ; mais il ne peut pas aller auprès de milord avant de vous avoir vu. Le pauvre diable a l’air d’avoir perdu la tête… Il désirerait que vous allassiez le voir sur-le-champ. »

Tressilian quitta aussitôt la salle, et ayant fait venir Wayland dans un cabinet voisin, il fut surpris de l’altération qu’il remarqua sur son visage.

« Qu’avez-vous donc, Smith ? dit Tressilian ; avez-vous vu le diable ?

— Pire, monsieur, cent fois pire ; j’ai vu un basilic… Grâce à Dieu ! je l’ai vu le premier sans qu’il me vît, et comme il ne m’a pas vu, il m’en fera moins de mal.

— Au nom de Dieu ! parlez raison, dit Tressilian ; expliquez-moi ce que vous voulez dire.

— J’ai vu mon ancien maître, dit l’artiste. Hier soir, un nouvel ami que je me suis fait m’emmena voir l’horloge du palais, jugeant que je serais curieux d’examiner ce chef-d’œuvre. À la fenêtre d’une tourelle voisine de l’horloge, j’ai aperçu mon ancien maître.

— Tu te seras probablement trompé, dit Tressilian.

— Je ne me suis pas trompé, répondit Wayland ; celui qui sait par cœur le moindre de ses traits, le reconnaîtrait entre mille. Il était vêtu à l’antique ; mais, Dieu soit loué ! il ne peut se déguiser à mes yeux, comme je puis me déguiser aux siens. Je ne tenterai cependant pas la Providence en restant à sa portée. Tarleton le comédien lui-même ne pourrait se déguiser assez bien pour n’être