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ver, et la ménagère pouvait, dans les grandes occasions, ajouter à l’ordinaire un plat de pigeons, ou un chapon gras ; le jardin, assez mal cultivé, fournissait cependant quelques légumes, et la rivière donnait du saumon pour le temps du carême.

Le chauffage était abondant ; car les marais fournissaient de la tourbe, et ce qui restait des forêts dévastées continuait à donner du bois à brûler, aussi bien que du bois de construction, pour tous les besoins domestiques. Pour ajouter à ce confortable, le chef de la famille faisait de temps en temps une excursion dans le bois, et abattait, avec son fusil ou avec son arc, un daim bien tendre et bien gras ; le père confesseur refusait rarement de donner l’absolution de ce péché, pourvu qu’on l’invitât à venir manger une cuisse de venaison brûlante. Quelques-uns, encore plus hardis, faisaient, soit avec leurs domestiques ; soit en s’associant avec les mos troopers[1], ce que les bergers appelaient un start and overloup[2] ; et les ornements et bijoux en or, ainsi que les élégantes coiffures en soie que portaient les femmes de quelques familles distinguées, non sans exciter la jalousie de leurs voisines, étaient attribués au succès de ces excursions. Ceci néanmoins était, aux yeux de l’abbé et des religieux du couvent de Sainte-Marie, un crime plus difficile à expier que celui d’emprunter un daim du bon roi : aussi ne manquaient-ils pas de punir les coupables et d’employer tous les moyens possibles d’empêcher que l’on ne commît de pareils méfaits. Les bons pères craignaient d’attirer de cruelles représailles sur les propriétés de l’Église, et surtout de laisser altérer le caractère de leurs paisibles vassaux.

Quant au degré d’instruction de ces tenanciers des abbayes, on aurait pu dire avec vérité qu’ils étaient mieux nourris qu’appris, quand même leur nourriture aurait été un peu plus mauvaise. Ils avaient cependant, pour acquérir de l’instruction, mille occasions qui manquaient à bien d’autres. Les moines connaissaient fort bien leurs vassaux, et visitaient familièrement les familles de la classe la plus relevée, dans lesquelles ils étaient sûrs d’être reçus avec le respect dû à leur double caractère de pères spirituels et de seigneurs temporels. Aussi arrivait-il souvent que, si un enfant annonçait de l’intelligence, et montrait de l’inclination pour l’étude, un des religieux, soit pour en faire un ecclésiastique, soit

  1. Pillards des marais ; moss veut dire mousse, troopers, troupiers. Les moss-troopers ont donné leur nom aux maraudeurs en général. a. m.
  2. Phrase anglo-écossaise qui veut dire : tressaillir et sauter par-dessus. a. m.