Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/278

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votre aide ne vienne assez à temps pour sauver ce pauvre blessé.

— Est-ce vraiment ainsi ? dit le voyageur ; et les passions humaines troublent-elles le sein de la nature même dans sa plus profonde solitude ? Mais pourquoi m’étonnerais-je qu’où les ténèbres habitent, les œuvres ténébreuses pussent abonder ? On connaît l’arbre à son fruit. Guide-moi, malheureux jeune homme, je te suivrai ! »

Et avec une meilleure volonté qu’il n’en avait montré jusqu’alors, l’étranger fit tous ses efforts, et semblait oublier sa propre fatigue pour suivre le pas de son guide impatient.

Quelle fut la surprise d’Halbert Glendinning lorsqu’il fut arrivé dans l’endroit fatal, de ne pas trouver la moindre trace du corps de sir Piercy Shafton ? La place du combat était bien reconnaissable. Le manteau du chevalier avait disparu aussi bien que son cadavre, mais le justaucorps était là, et le gazon sur lequel le blessé avait été couché était teint de plusieurs sombres taches d’un sang cramoisi.

Comme il regardait autour de lui avec terreur et étonnement les yeux d’Halbert tombèrent sur la fosse qui avait été creusée pour la sépulture et qui, quelques instants auparavant semblait attendre pour une victime. Elle n’était plus ouverte et elle paraissait avoir reçu l’hôte attendu ; car la terre formait une espèce de monticule, et le gazon était replacé avec tout le soin que met en pareil cas un habile fossoyeur. Halbert demeura glacé d’effroi. Son esprit était sans cesse frappé de l’idée que la petite élévation de terre qu’il voyait devant lui renfermait un être qui tout récemment se mouvait et jouissait de la vie, et que sur une futile provocation il l’avait rendu aussi froid et aussi inanimé que le gazon qui le recouvrait. La main qui avait creusé la tombe avait complété son ouvrage : et quelle autre main pouvait-ce être que celle de l’être mystérieux et d’une nature douteuse que sa témérité avait évoqué, et qu’il avait presque identifié avec sa destinée ?

Comme il demeurait en silence, se tordant les mains, levant les yeux au ciel, et se repentant amèrement de sa hardiesse, il fut réveillé par la voix de l’étranger, qui avait conçu de nouveaux soupçons sur son guide en trouvant le lieu de la scène si différent de ce dont lui avait parlé Halbert en le conduisant. « Jeune homme, dit-il, as-tu accoutumé ta langue à la fausseté, pour retrancher seulement quelques jours de la vie d’un homme que la nature aurait bientôt rappelé dans son sein sans avoir besoin d’un crime de ta part pour hâter son départ ?