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sans bornes. Elle avait, au milieu des guerres civiles de cette malheureuse époque, perdu son époux et deux fils de la plus belle espérance ; mais elle avait reçu le prix de ses sacrifices ; car Charles II, en traversant l’ouest de l’Écosse pour marcher à la rencontre de Cromwell, aux champs infortunés de Worcester, s’était arrêté à la tour de Tillietudlem et y avait déjeuné. Cet incident formait une époque remarquable dans la vie de lady Marguerite, et elle laissait rarement échapper l’occasion de parler de ce repas et de détailler toutes les circonstances de la royale visite, n’oubliant pas de dire que Sa Majesté avait daigné l’embrasser sur les deux joues, quoiqu’elle omît cependant d’ajouter que le roi avait accordé la même faveur à deux fraîches servantes qui marchaient à la suite de milady, et que, pour ce jour-là seulement, elle avait élevées à la dignité de dames d’honneur.

Ces marques de la faveur royale avaient été décisives ; et certes la visite du roi au château, la faveur qu’il y avait accordée à lady Marguerite, auraient suffi pour enchaîner exclusivement cette dame à la fortune des Stuarts, si elle ne leur eût déjà été attachée par sa naissance, par son éducation et par la haine qu’elle portait au parti opposé qui avait causé tous ses malheurs domestiques. Les Stuarts semblaient triomphants alors ; mais lady Marguerite leur avait été dévouée dans les temps de désastres, et elle était prête encore à défendre la même cause, si la fortune venait à abandonner de nouveau cette famille, l’objet de son culte. Elle éprouvait alors les plus douces jouissances en voyant se déployer des forces imposantes prêtes à soutenir les droits de la couronne, et cherchait à dissimuler, autant qu’il lui était possible, la mortification que lui faisait éprouver l’indigne désertion de ses propres vassaux.

À la revue il y eut échange de civilités entre elle et les chefs des diverses familles honorables du comté qui y assistaient, et qui avaient toujours eu pour lady Marguerite la plus profonde vénération. Ce jour-là pas un jeune homme de famille ne passait près d’elle et de sa petite-fille sans se tenir ferme sur la selle, et sans faire caracoler son cheval pour faire briller aux yeux de miss Édith ses talents en équitation et la légèreté de son coursier. Mais les jeunes cavaliers distingués par leur haute naissance et leur loyauté éprouvée attiraient l’attention d’Édith, autant seulement que l’exigeaient les lois de la courtoisie ; elle recevait avec un certain air d’indifférence les compliments qui lui étaient