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DE VAUVENARGUES.

Je ne reviendrai pas sur les Maximes, où il raille les esprits-forts, et les met en face de Newton, de Pascal et de Bossuet ; mais, outre le passage du Discours sur l’inégalité des richesses, que j’ai cité à un autre titre, et où Vauvenargues se montre si pénétré du besoin de croire, il faut rappeler la Méditation la Foi, et la Prière qui la suit. En vain l’on a prétendu que ces deux morceaux n’étaient qu’un simple exercice oratoire et un jeu d’esprit ; Voltaire, qui pouvait en juger mieux que tout autre, puisqu’il était plus avant que personne dans l’intimité de Vauvenargues, Voltaire, dont le témoignage est si décisif en pareil cas, ne s’y est pas trompé ; on le voit au chagrin qu’il en éprouve. On sait que c’est à propos de ces deux pièces qu’il lui fait le seul reproche qu’il lui ait jamais adressé : « Vous avez affligé ma philosophie, lui écrit-il ; ne peut-on adorer l’Être-Suprême, sans se faire capucin ? »

Une fois entré dans cette voie nouvelle, où Vauvenargues se serait-il arrêté ? Il n’est donné à personne de le dire ; mais, du moins, ce que nous savons de lui permet d’affirmer qu’il n’eût jamais donné dans les excès qui suivirent. Et même, ce triste spectacle de la philosophie qui s’égare aurait bientôt rebuté ce noble esprit, spiritualiste par essence, et, sans rien céder des droits de la raison humaine, il se serait réfugié de plus en plus vers ses maîtres et ses modèles, vers Pascal, Bossuet et Fénelon. À coup sûr, il se serait séparé, je ne dis pas seulement d’Helvétius et d’Holbach, mais de Voltaire lui-même : il l’aurait retenu, peut-être. On peut le dire, la mort de Vauvenargues fut un véritable malheur pour Voltaire, et il semble que lui-même ait senti, en ce qui le regardait, toute la grandeur de cette perte, car aucune ne l’a plus profondément touché. Dans sa douleur même, n’y

    contre la mort qu’on peut tirer des forces de la Foi ; elle nous est d’un grand secours dans toutes les misères humaines. Il n’y a point de disgrâces qu’elle n’adoucisse, point de larmes qu’elle n’essuie, point de pertes qu’elle ne répare ; elle console du mépris, de la pauvreté… » Ici, Fénelon l’attire ; mais voici Pascal qui le repousse : « Mais cette même Foi, qui est la consolation des misérables, est le supplice des heureux ; c’est elle qui empoisonne leurs plaisirs, qui trouble leur félicité présente, qui leur donne des regrets sur le passé et des craintes sur l’avenir ; c’est elle, enfin, qui tyrannise leurs passions… » (Lettre inédite.)