Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/402

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Dieu, c’est-à-dire d’une manière absolue et sans qu’il faille attribuer à Dieu aucun des attributs de la nature humaine. Là-dessus vous vous faites l’avocat des impies, parce qu’ils font, dites-vous, tout ce que les décrets de Dieu leur donnent la possibilité de faire, et servent Dieu à l’égal des bons. Mais cette conséquence ne résulte nullement de mon principe ; car je ne fais pas jouer à Dieu le rôle de juge ; d’où il suit que j’estime l’œuvre, non par sa qualité intrinsèque, mais par la puissance de l’ouvrier ; et la récompense qui vient après le travail en résulte avec la même nécessité qu’il résulte de la nature du triangle que la somme de ses angles égale deux droits. C’est ce que chacun comprendra sans difficulté, s’il veut seulement remarquer que notre souverain bonheur consiste dans l’amour de Dieu 3, et que cet amour découle nécessairement de la connaissance de Dieu, qu’on nous recommande avec tant de soin. Du reste, on peut donner de ces principes une démonstration générale en considérant la nature des décrets divins, ainsi que je l’ai expliqué dans mon Appendice. Mais j’avoue que ceux qui confondent la nature divine avec la nature humaine sont parfaitement incapables de comprendre toutes ces choses.

J’avais dessein de m’arrêter ici, Monsieur, pour ne pas vous fatiguer plus longtemps de ces matières, dont la discussion (comme je le vois clairement par la fin, très-pieuse du reste, de votre lettre) ne sert qu’à prêter à rire et n’est qu’un jeu d’esprit sans aucun usage. Mais pour ne point me refuser absolument à votre demande, je vais vous dire comment j’entends ces mots de négation et de privation, et j’ajouterai rapidement ce qui me paraîtra nécessaire à l’éclaircissement de ma première lettre.

La privation, selon moi, n’est pas l’acte de priver, mais purement et simplement le défaut ou le manque de quelque chose, lequel défaut en soi n’est rien. Ce n’est