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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

de la nature du triangle, il arrive alors que, ce que nous appelions entendement de Dieu, nous l’appelons volonté divine ou décret divin. Ainsi donc, dire que Dieu a voulu que la somme des angles d’un triangle fût égale à deux droits, ou dire que Dieu a pensé cela, c’est, au regard de Dieu, une seule et même chose. D’où il suit que les affirmations et les négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité ou une vérité éternelles. Si, par exemple, Dieu avait dit à Adam : Je ne veux pas que vous mangiez du fruit de l’arbre du bien et du mal, il impliquerait contradiction qu’Adam pût manger de ce fruit ; et il serait par conséquent impossible qu’il en eût mangé, le décret de Dieu enveloppant une nécessité et une vérité éternelles. Cependant, suivant le récit de l’Écriture, Dieu fit à Adam cette défense, et Adam ne laissa pas de manger du fruit défendu. Il faut donc entendre de toute nécessité que Dieu révéla seulement à Adam le mal qu’il aurait à souffrir s’il mangeait du fruit de cet arbre, sans lui faire connaître qu’il était nécessaire que ce mal fût la suite de son action. D’où il arriva qu’Adam comprit cette révélation, non pas comme vérité éternelle et nécessaire, mais comme une loi, je veux dire comme un commandement, suivi de récompense ou de punition, non par la nécessité même et la nature de l’acte accompli, mais seulement par le vouloir d’un prince et par son autorité absolue. Par conséquent cette révélation n’eut le caractère d’une loi, et Dieu ne fut semblable à un législateur ou à un prince qu’au regard d’Adam et par l’imperfection et le défaut de sa connaissance. Ce fut encore par cette même raison, je veux dire par défaut de connaissance, que le Décalogue eut, aux yeux des Hébreux, le caractère d’une loi. Ne connaissant pas en effet l’existence de Dieu, à titre d’éternelle vérité, ils durent considérer comme des lois ces paroles du Décalogue : qu’il existe un Dieu et qu’il ne faut adorer que lui seul. Si au contraire Dieu leur eût parlé directement et sans aucun intermédiaire corporel, les préceptes du Décalogue eus-