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Fauchet. En effet, Marot, s’il n’était pas très savant au sens propre du mot, avait, comme tous les grands écrivains, une intuition profonde de la langue française qu’il maniait si excellemment. Un siècle après, Ménage citait dans son Dictionnaire au mot eage le vers de Villon tel que le donne Marot avec la remarque de ce dernier, et cela, sans faire la moindre observation sur l’expression trentiesme eage. Or Ménage, abstraction faite de ses aberrations étymologiques, était un homme très docte, possédant pleinement sa langue qu’il avait étudiée avec un soin particulier. A ses yeux, comme à ceux de Marot, le vers était donc bien français et ne donnait prise à aucune critique. Quant à Fauchet, il avait pour lui, en outre, l’autorité de Varron, son confrère en « antiquaille » comme on disait au xvie siècle : car, ainsi que le remarque Perotti dans sa Cornucopia, le mot aetas s’employait quelquefois pour désigner une année : « Aetas aliquanto ponitur pro uno anno. Sic Varro : aetatem vix decimam egressus » (édit. de Bâle, 1526, in-fol., col. 414). En bien des cas, d’ailleurs, les mots annus, aetas sont synonymes. Cf. Chatelain, Thesaurus poet. (1893, 2e édit.), et le Thesaurus linguae lalinae (Teubner, Lepzig, 1900), t. I, col. 1123 ; 1126. Mais il convient de citer intégralement le sentiment de Gaston Paris, à l’opinion de qui se sont rangés Lacroix (cette fois, en opposition avec Prompsault) et Schwob. La Monnoye, au xviiie s. avait spontanément fait la correction réclamée par G. Paris, et antérieuremet déjà préconisée par Quicherat, dans son Traité de versification française (1850), p. 425, n. 2. « Villon, écrit G. Paris, est, comme on peut s’y attendre, tout à fait moderne, c’est-à-dire qu’il supprime, comme le fait la langue moderne, l’e et l’a intérieur en hiatus devant une voyelle, bien qu’il écrive encore souvent (veoir, geoliere, etc.). Une seule exception se présente au vers du Testament :

En l’an de mon trentiesme aage

Marot qui imprime eage remarque déjà : « Il fait eage trisyllabe comme peage, si fait le Roman de la Rose. » Mais ce qui est tout naturel au xiiie siècle, est fort invraisemblable en 1461 ; et, en effet, le mot aage qui reparaît trois autres fois dans l’œuvre de notre poète (T. 1276 ; 1832, D 48 = Poés. div. XI, 12) ne compte jamais que pour deux syllabes. En outre, le sens qu’il aurait ici est très surprenant et ne se retrouve pas ailleurs. M. L. le traduit par « année » (par « année de la vie » dans la 2e édit.). Il le traduit de même au vers 1832, mais là, le sens ordinaire suffit très bien. Quant au passage de Fauchet qu’il cite « en mon aage soixante et dixiesme », je n’y vois qu’une bizarrerie.