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ENTRETIEN AVEC SACI 49

qu’il avoit si inutilement humiliez, à ne pas irriter par de nouveaux crimes celuy qui peut seul les tirer de ceux qu’il les a convaincus de ne pouvoir pas seulement connoistre.

« Mais il agit au contraire de cette sorte, en payen. De ce principe, dit-il, que hors de la foy tout est dans l’incertitude, et considerant combien il y a que l’on cherche le vray et le bien sans aucun progrés vers la tranquillité, il conclut qu’on en doit laisser le soin aux autres ; et demeurer cependant en repos, coulant legerement sur les sujets de peur d’y enfoncer en appuyant 2 ; et prendre le vray et le bien sur la premiere apparence, sans les presser, parce qu’ils sont si peu solides que, quelque peu qu’on serre la main, ils s’echappent entre les doigts et la laissent vuide. C’est pour quoy il suit le rapport des sens et les notions communes, parce qu’il faudroit qu’il se fist violence pour les dementir, et qu’il ne sçait s’il gagneroit, ignorant où est le vray. Ainsi il fuit la douleur et la mort, parce que son instinct l’y pousse, et qu’il n’y veut pas resister par la mesme raison, mais sans en conclure que ce soient de veritables maux, ne se fiant pas trop à ces mouvemens naturels de crainte, veu qu’on en sent d’autres de plaisir qu’on dit estre mauvais, quoy que la nature parle au contraire. Ainsi, il n’a rien d’extravagant dans sa conduite ; il agit comme les autres ; et tout ce qu’ils font dans la sotte pensée qu’ils suivent le vray bien, il le fait par un autre principe, qui est que les

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1. M. [utilement] ; leçon non signalée par M. Bédier.

2. Essais, III, X, p. 764 : « Il y a tant de mauvais pas que, pour le plus seur, il faut un peu legerement et superficiellement couler ce Monde : et le glisser, non l’enfoncer. » — L’idée chez Montaigne est d’ailleurs différente de celle que Pascal exprime ici. 2 e série. I 4