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ENTRETIEN AVEC SACI 43

ment, ce que c’est que l’unité, qui sont toutes choses qui nous environnent et entierement inexplicables ; ce que c’est que la santé, maladie, vie, mort, bien, mal, justice, peché, dont nous parlons à toute heure ; si nous avons en nous des principes du vray, et si ceux que nous croyons, et qu’on appelle axiomes ou notions communes, parce qu’elles sont conformes dans tous les hommes, sont conformes à la verité essentielle ; et puisque nous ne sçavons que par la seule foy qu’un Estre tout bon nous les a donnez veritables, en nous creant pour connoistre la verité, qui sçaura sans cette lumiere si, estant formez à l’aventure, ils ne sont pas incertains, ou si, estant formez par un estre faux et mechant, il ne nous les a pas donnez faux afin de nous seduire ; montrant par là que Dieu et le vray sont inseparables, et que si l’un est ou n’est pas, s’il est incertain ou certain, l’autre est necessairement de mesme. Qui sçait donc si le sens commun, que nous prenons pour juge du vray, en a l’estre de celuy qui l’a creé? De plus, qui sçait ce que c’est que verité, et comment peut-on s’asseurer de l’avoir sans la connoistre? Qui sçait mesme ce que c’est qu’estre, qu’il est impossible de definir, puisqu’il n’y a rien de plus general, et qu’il faudroit pour l’expliquer, se servir d’abord de ce mot-là mesme, en disant: C’est, etc.? Et puisque nous ne sçavons ce que c’est qu’ame, corps, temps, espace, mouvement, verité, bien, ny mesme estre, ny expliquer l’idée que nous nous en formons, comment nous asseurons-nous qu’elle est la mesme dans tous les hommes, veu que nous n’en n’avons d’autre marque que l’uniformité des consequences, qui n’est pas toujours un signe de celle des principes ? car ils peuvent bien estre differens et conduire neanmoins aux mesmes conclusions, chacun sçachant que le vray se conclut souvent du faux,