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Viens me voir demain au journal, j’aurai dit deux mots de ta position à mon neveu. Dans quelque temps, tu auras une place dans un journal quelconque. Mariette, qui, dans ce moment (ne t’abuse pas), te prend parce qu’elle n’a rien, ni engagement, ni possibilité de débuter, et à qui j’ai dit que tu allais être comme moi dans un journal, Mariette te prouvera qu’elle t’aime pour toi-même et tu le croiras ! Fais comme moi, maintiens-la figurante tant que tu pourras ! J’étais si amoureux que, dès que Florentine a voulu danser son pas, j’ai prié Finot de demander son début ; mais mon neveu m’a dit : — Elle a du talent, n’est-ce pas ? Eh ! bien, le jour où elle aura dansé son pas elle te fera passer celui de sa porte. Oh ! mais voilà Finot. Tu verras un gars bien dégourdi.

Le lendemain, sur les quatre heures, Philippe se trouva rue du Sentier, dans un petit entresol où il aperçut Giroudeau encagé comme un animal féroce dans un espèce de poulailler à chatière où se trouvaient un petit poêle, une petite table, deux petites chaises, et de petites bûches. Cet appareil était relevé par ces mots magiques : Bureau d’abonnement, imprimés sur la porte en lettres noires, et par le mot Caisse écrit à la main et attaché au-dessus du grillage. Le long du mur qui faisait face à l’établissement du capitaine s’étendait une banquette où déjeunait alors un invalide amputé d’un bras, appelé par Giroudeau Coloquinte, sans doute à cause de la couleur égyptienne de sa figure.

— Joli ! dit Philippe en examinant cette pièce. Que fais-tu là, toi qui as été de la charge du pauvre colonel Chabert à Eylau ? Nom de nom ! Mille noms de nom, des officiers supérieurs !…

— Eh ! bien ! oui ! — broum ! broum ! — un officier supérieur faisant des quittances de journal, dit Giroudeau qui raffermit son bonnet de soie noire. Et, de plus, je suis l’éditeur responsable de ces farces-là, dit-il en montrant le journal.

— Et moi qui suis allé en Égypte, je vais maintenant au Timbre, dit l’invalide.

— Silence, Coloquinte, dit Giroudeau, tu es devant un brave qui a porté les ordres de l’Empereur à la bataille de Montmirail.

— Présent ! dit Coloquinte, j’y ai perdu le bras qui me manque.

— Coloquinte, garde la boutique, je monte chez mon neveu.

Les deux anciens militaires allèrent au quatrième étage, dans une mansarde, au fond d’un corridor, et trouvèrent un jeune homme à l’œil pâle et froid, couché sur un mauvais canapé. Le péquin ne se