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Ceci, ma chère madame de l’Estorade, s’est passé depuis quinze jours, et voilà quinze jours que je n’ai vu cet homme qui m’aime, car cet homme m’aime. Que fait-il ? Je voudrais être mouche, souris, moineau. Je voudrais pouvoir le voir, seul, chez lui, sans qu’il m’aperçût. Nous avons un homme à qui je puis dire : Allez mourir pour moi !… Et il est de caractère à y aller, je le crois du moins. Enfin, il y a dans Paris un homme à qui je pense, et dont le regard m’inonde intérieurement de lumière. Oh ! c’est un ennemi que je dois fouler aux pieds. Comment, il y aurait un homme sans lequel je ne pourrais vivre, qui me serait nécessaire ! Tu te maries et j’aime ! Au bout de quatre mois, ces deux colombes qui s’élevaient si haut sont tombées dans les marais de la réalité.


Dimanche.

Hier, aux Italiens, je me suis sentie regardée, mes yeux ont été magiquement attirés par deux yeux de feu qui brillaient comme deux escarboucles dans un coin obscur de l’orchestre. Hénarez n’a pas détaché ses yeux de dessus moi. Le monstre a cherché la seule place d’où il pouvait me voir, et il y est. Je ne sais pas ce qu’il est en politique ; mais il a le génie de l’amour.


Voilà, belle Renée, à quel point nous en sommes,


a dit le grand Corneille.




XIII

DE MADAME DE L’ESTORADE À MADEMOISELLE DE CHAULIEU.


À la Crampade, février.

Ma chère Louise, avant de t’écrire, j’ai dû attendre ; mais maintenant je sais bien des choses, ou, pour mieux dire, je les ai apprises, et je dois te les dire pour ton bonheur à venir. Il y a tant de différence entre une jeune fille et une femme mariée, que la jeune fille ne peut pas plus la concevoir que la femme mariée ne