Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/415

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— Je vous l’avoue, dit Derville qui ne comprit pas les signes que lui fit madame de Grandlieu, je ne pleurai pas sur le sort de cette malheureuse créature, si brillante aux yeux du monde et si épouvantable pour qui lisait dans son cœur ; non, je frémissais d’horreur en contemplant son assassin, ce jeune homme dont le front était si pur, la bouche si fraîche, le sourire si gracieux, les dents si blanches, et qui ressemblait à un ange. Ils étaient en ce moment tous deux devant leur juge, qui les examinait comme un vieux dominicain du seizième siècle devait épier les tortures de deux Maures, au fond des souterrains du Saint-Office. — Monsieur, existe-t-il un moyen d’obtenir le prix des diamants que voici, mais en me réservant le droit de les racheter, dit-elle d’une voix tremblante en lui tendant un écrin. — Oui, madame, répondis-je en intervenant et me montrant. Elle me regarda, me reconnut, laissa échapper un frisson, et me lança ce coup d’œil qui signifie en tout pays : Taisez-vous ! — Ceci, dis-je en continuant, constitue un acte que nous appelons vente à réméré, convention qui consiste à céder et transporter une propriété mobilière ou immobilière pour un temps déterminé, à l’expiration duquel on peut rentrer dans l’objet en litige, moyennant une somme fixée. Elle respira plus facilement. Le comte Maxime fronça le sourcil, il se doutait bien que l’usurier donnerait alors une plus faible somme des diamants, valeur sujette à des baisses. Gobseck, immobile, avait saisi sa loupe et contemplait silencieusement l’écrin. Vivrais-je cent ans, je n’oublierais pas le tableau que nous offrit sa figure. Ses joues pâles s’étaient colorées, ses yeux, où les scintillements des pierres semblaient se répéter, brillaient d’un feu surnaturel. Il se leva, alla au jour, tint les diamants près de sa bouche démeublée, comme s’il eût voulu les dévorer. Il marmottait de vagues paroles, en soulevant tour à tour les bracelets, les girandoles, les colliers, les diadèmes, qu’il présentait à la lumière pour en juger l’eau, la blancheur, la taille ; il les sortait de l’écrin, les y remettait, les y reprenait encore, les faisait jouer en leur demandant tous leurs feux, plus enfant que vieillard, ou plutôt enfant et vieillard tout ensemble. — Beaux diamants ! Cela aurait valu trois cent mille francs avant la révolution. Quelle eau ! Voilà de vrais diamants d’Asie venus de Golconde ou de Visapour ! En connaissez-vous le prix ? Non, non, Gobseck est le seul à Paris qui sache les apprécier. Sous l’empire il aurait encore fallu plus de deux cent mille