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il fut saisi par des intérêts qui ne lui permirent pas de profiter de son bonheur. Néanmoins un malheur soudain arrivé à Nathan, des obstacles renouvelés, une impatience pouvaient précipiter la comtesse dans un abîme. Raoul entrevoyait ces dispositions chez Marie, quand vers la fin de décembre du Tillet voulut être payé. Le riche banquier, qui se disait gêné, donna le conseil à Raoul d’emprunter la somme pour quinze jours à un usurier, à Gigonnet, la providence à vingt-cinq pour cent de tous les jeunes gens embarrassés. Dans quelques jours le journal opérait son grand renouvellement de janvier, il y aurait des sommes en caisse, du Tillet verrait. D’ailleurs pourquoi Nathan ne ferait-il pas une pièce ? Par orgueil, Nathan voulut payer à tout prix. Du Tillet donna une lettre à Raoul pour l’usurier, d’après laquelle Gigonnet lui compta les sommes sur des lettres de change à vingt jours. Au lieu de chercher les raisons d’une semblable facilité, Raoul fut fâché de ne pas avoir demandé davantage. Ainsi se comportent les hommes les plus remarquables par la force de leur pensée ; ils voient matière à plaisanter dans un fait grave, ils semblent réserver leur esprit pour leurs œuvres, et, de peur de l’amoindrir, n’en usent point dans les choses de la vie. Raoul raconta sa matinée à Florine et à Blondet ; il leur peignit Gigonnet tout entier, sa cheminée sans feu, son petit papier de Réveillon, son escalier, sa sonnette asthmatique et le pied de biche, son petit paillasson usé, son âtre sans feu comme son regard : il les fit rire de ce nouvel oncle ; ils ne s’inquiétèrent ni de du Tillet qui se disait sans argent, ni d’un usurier si prompt à la détente. Tout cela, caprices !

— Il ne t’a pris que quinze pour cent, dit Blondet, tu lui devais des remerciements. À vingt-cinq pour cent on ne les salue plus ; l’usure commence à cinquante pour cent, à ce taux on les méprise.

— Les mépriser ! dit Florine. Quels sont ceux de vos amis qui vous prêteraient à ce taux sans se poser comme vos bienfaiteurs ?

— Elle a raison, je suis heureux de ne plus rien devoir à du Tillet, disait Raoul.

Pourquoi ce défaut de pénétration dans leurs affaires personnelles chez des hommes habitués à tout pénétrer ? Peut-être l’esprit ne peut-il pas être complet sur tous les points ; peut-être les artistes vivent-ils trop dans le moment présent pour étudier l’avenir ; peut-être observent-ils trop les ridicules pour voir un piége, et croient-ils qu’on n’ose pas les jouer. L’avenir ne se fit pas attendre. Vingt