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tient une cassolette au bout. Puis je compris que ce présent cachait une nouvelle tromperie ; mais je lui sautai promptement au cou, non sans lui faire de doux reproches pour m’avoir imposé de si grands tourments pour une bagatelle. Il se crut bien fin. Je vis alors dans son maintien, dans son regard, cette espèce de joie intérieure qu’on éprouve en faisant réussir une tromperie ; il s’échappe comme une lueur de notre âme, comme un rayon de notre esprit qui se reflète dans les traits, qui se dégage avec les mouvements du corps. En admirant cette jolie chose, je lui demandai dans un moment où nous nous regardions bien : — Qui t’a fait cette œuvre d’art ? — Un artiste de mes amis. — Ah ! Verdier l’a montée, ajoutai-je en lisant le nom du marchand, imprimé sur la cravache. Gaston est resté très enfant, il a rougi. Je l’ai comblé de caresses pour le récompenser d’avoir eu honte de me tromper. Je fis l’innocente, et il a pu croire tout fini.


25 mai.

Le lendemain, vers six heures, je mis mon habit de cheval, et je tombai à sept heures chez Verdier, où je vis plusieurs cravaches de ce modèle. Un commis reconnut la mienne, que je lui montrai. — Nous l’avons vendue hier à un jeune homme, me dit-il. Et sur la description que je lui fis de mon fourbe de Gaston, il n’y eut plus de doute. Je te fais grâce des palpitations de cœur qui me brisaient la poitrine en allant à Paris, et pendant cette petite scène où se décidait ma vie. Revenue à sept heures et demie, Gaston me trouva pimpante, en toilette du matin, me promenant avec une trompeuse insouciance, et sûre que rien ne trahirait mon absence, dans le secret de laquelle je n’avais mis que mon vieux Philippe. — Gaston, lui dis-je en tournant autour de notre étang, je connais assez la différence qui existe entre une œuvre d’art unique, faite avec amour pour une seule personne, et celle qui sort d’un moule. Gaston devint pâle et me regarda lui présenter la terrible pièce à conviction. — Mon ami, lui dis-je, ce n’est pas une cravache, c’est un paravent derrière lequel vous abritez un secret. Là-dessus, ma chère, je me suis donné le plaisir de le voir s’entortillant dans les charmilles du mensonge et les labyrinthes de la tromperie sans en pouvoir sortir, et déployant un art prodigieux pour essayer de trouver un mur à escalader, mais contraint de rester sur le terrain