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que mes entrailles étaient enfin bénies et donneraient la vie à flots. Je me suis sentie née pour être mère ! Aussi la première certitude que j’ai eue de porter en moi une autre vie m’a-t-elle donné de bienfaisantes consolations. Une joie immense a couronné tous ces longs jours de dévouement qui ont fait déjà la joie de Louis.

Dévouement ! me suis-je dit à moi-même, n’es-tu pas plus que l’amour ? n’es-tu pas la volupté la plus profonde, parce que tu es une abstraite volupté, la volupté génératrice ? N’es-tu pas, ô Dévouement ! la faculté supérieure à l’effet ? N’es-tu pas la mystérieuse, l’infatigable divinité cachée sous les sphères innombrables dans un centre inconnu par où passent tour à tour tous les mondes ? Le Dévouement, seul dans son secret, plein de plaisirs savourés en silence sur lesquels personne ne jette un œil profane et que personne ne soupçonne, le Dévouement, dieu jaloux et accablant, dieu vainqueur et fort, inépuisable parce qu’il tient à la nature même des choses et qu’il est ainsi toujours égal à lui-même, malgré l’épanchement de ses forces, le Dévouement, voilà donc la signature de ma vie.

L’amour, Louise, est un effort de Felipe sur toi ; mais le rayonnement de ma vie sur la famille produira une incessante réaction de ce petit monde sur moi ! Ta belle moisson dorée est passagère ; mais la mienne, pour être retardée, n’en sera-t-elle pas plus durable ? elle se renouvellera de moments en moments. L’amour est le plus joli larcin que la Société ait su faire à la Nature ; mais la maternité, n’est-ce pas la Nature dans sa joie ? Un sourire a séché mes larmes. L’amour rend mon Louis heureux ; mais le mariage m’a rendue mère et je vais être heureuse aussi ! Je suis alors revenue à pas lents à ma bastide blanche aux volets verts, pour t’écrire ceci.

Donc, chère, le fait le plus naturel et le plus surprenant chez nous s’est établi chez moi depuis cinq mois ; mais je puis te dire tout bas qu’il ne trouble en rien ni mon cœur ni mon intelligence. Je les vois tous heureux : le futur grand-père empiète sur les droits de son petit-fils, il est devenu comme un enfant ; le père prend des airs graves et inquiets ; tous sont aux petits soins pour moi, tous parlent du bonheur d’être mère. Hélas ! moi seule je ne sens rien, et n’ose dire l’état d’insensibilité parfaite où je suis. Je mens un peu pour ne pas attrister leur joie. Comme il m’est permis d’être franche avec toi, je t’avoue que, dans la crise où je me trouve, la