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LE LIT 29.

— Ah ! tais-toi… tu sais… tais-toi… parce que… ces choses-là… je ne permets pas… qu’on y touche…

Mais elle ne l’écoutait guère :

— Avec ça que vous leur avez fait bien du mal aux Prussiens ! ça serait-il arrivé si vous les aviez empêchés de venir à Rouen ? Dis ? C’est vous qui deviez les arrêter, entends-tu. Et je leur ai fait plus de mal que toi, moi, oui, plus de mal, puisque je vais mourir, tandis que tu te ballades, toi, et que tu fais le beau pour enjôler les femmes…

Sur chaque lit une tête s’était dressée et tous les yeux regardaient cet homme en uniforme qui bégayait :

— Tais-toi… tu sais… tais-toi…

Mais elle ne se taisait pas. Elle criait :

— Ah ! oui, tu es un joli poseur. Je te connais, va. Je te connais. Je te dis que je leur ai fait plus de mal que toi, moi, et que j’en ai tué plus que tout ton régiment réuni… va donc… capon !

Il s’en allait, en effet, il fuyait, allongeant ses grandes jambes, passant entre les deux rangs de lits où s’agitaient les syphilitiques. Et il entendait la voix haletante, sifflante, d’Irma, qui le poursuivait :

— Plus que toi, oui, j’en ai tué plus que toi, plus que toi…