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trouvée dans sa poche, écrite au dernier moment, demandait qu’on l’enterrât dans ce village où s’étaient passés ses derniers jours. Une pensée affreuse me serra le cœur. N’était-ce point à cause de moi qu’elle voulait rester en ce lieu ?

Vers le soir, les commères du voisinage s’en vinrent pour contempler la défunte ; mais j’empêchai qu’on entrât ; je voulais rester seul près d’elle ; et je veillai toute la nuit.

Je la regardais à la lueur des chandelles, la misérable femme inconnue à tous, morte si loin, si lamentablement. Laissait-elle quelque part des amis, des parents ? Qu’avaient été son enfance, sa vie ? D’où venait-elle ainsi, toute seule, errante, perdue comme un chien chassé de sa maison ? Quel secret de souffrance et de désespoir était enfermé dans ce corps disgracieux, dans ce corps porté, ainsi qu’une tare honteuse, durant toute son existence, enveloppe ridicule qui avait chassé loin d’elle toute affection et tout amour ?

Comme il y a des êtres malheureux ! Je sentais peser sur cette créature humaine l’éternelle injustice de l’implacable nature ! C’était fini pour elle, sans que, peut-être, elle eût jamais eu ce qui soutient les plus déshérités, l’espérance d’être aimée une fois ! Car pourquoi