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une sorte de haine épouvantable. Et Mme Bonnin ne cessait de répéter : « Est-ce malheureux, de perdre une fortune parce qu’on a épousé un imbécile ! » ou bien : « Dire que si j’étais tombée sur un autre homme, j’aurais aujourd’hui cinquante mille livres de rente ! » ou bien : « Il y a des gens qui sont toujours gênants dans la vie. Ils gâtent tout. »

Les dîners, les soirées surtout devenaient intolérables. Ne sachant plus que faire, Léopold, un soir, craignant une scène horrible au logis, amena son ami, Frédéric Morel, avec qui il avait failli se battre en duel. Morel fut bientôt l’ami de la maison, le conseiller écouté des deux époux.

Il ne restait plus que six mois avant l’expiration du dernier délai donnant aux pauvres le million ; et peu à peu Léopold changeait d’allures vis-à-vis de sa femme, devenait lui-même agressif, la piquait souvent par des insinuations obscures, parlait d’une façon mystérieuse de femmes d’employés qui avaient su faire la situation de leur mari.

De temps en temps, il racontait quelque histoire d’avancement surprenant tombé sur un commis. « Le père Ravinot, qui était surnuméraire voici cinq ans, vient d’être nommé sous-chef. » Mme Bonnin prononçait : « Ce n’est pas toi qui saurais en faire autant. »

Alors Léopold haussait les épaules. « Avec ça qu’il en fait plus qu’un autre. Il a une femme intelligente, voilà tout. Elle a su plaire au chef de division, et elle obtient tout ce qu’elle veut. Dans