Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme s’il n’avait pas pu les empêcher.

Elle était, d’ailleurs, en termes excellents avec lui, paraissant même confidente de ses secrets et de ses contrariétés. Elle disait : « Dieu veut » ou « Dieu ne veut pas », comme un sergent qui annoncerait au conscrit que : « Le colonel il a ordonné. »

Elle déplorait du fond du cœur mon ignorance des intentions célestes qu’elle s’efforçait de me révéler ; et je trouvais chaque jour dans mes poches, dans mon chapeau quand je le laissais par terre, dans ma boîte à couleurs, dans mes souliers cirés devant ma porte au matin, ces petites brochures de piété qu’elle recevait sans doute directement du Paradis.

Je la traitais comme une ancienne amie, avec une franchise cordiale. Mais je m’aperçus bientôt que ses allures avaient un peu changé. Je n’y pris pas garde dans les premiers temps.

Quand je travaillais, soit au fond de mon vallon, soit dans quelque chemin creux, je la voyais soudain paraître, arrivant de sa marche rapide et scandée. Elle s’asseyait brusquement, essoufflée comme si elle eût couru ou comme si quelque émotion profonde l’agitait. Elle était fort rouge, de ce rouge anglais qu’aucun autre peuple ne possède ; puis, sans raison, elle pâlissait, devenait couleur de terre et semblait près de défaillir. Peu à peu