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Je le considérais avec stupeur. Je lui demandai :

— Mais tu n’as pas toujours été ainsi ?

— Pardon, toujours, dès le collège.

— Ce n’est pas une vie, ça mon bon. C’est horrible. Voyons, tu fais bien quelque chose, tu aimes quelque chose, tu as des amis.

— Non. Je me lève à midi. Je viens ici, je déjeune, je bois des bocks, j’attends la nuit, je dîne, je bois des bocks ; puis, vers une heure et demie du matin, je retourne me coucher, parce qu’on ferme. C’est ce qui m’embête le plus. Depuis dix ans, j’ai bien passé six années sur cette banquette, dans mon coin ; et le reste dans mon lit, jamais ailleurs. Je cause quelquefois avec des habitués.

— Mais, en arrivant à Paris, qu’est-ce que tu as fait tout d’abord ?

— J’ai fait mon droit… au café de Médicis.

— Mais après ?

— Après… j’ai passé l’eau et je suis venu ici.

— Pourquoi as-tu pris cette peine ?

— Que veux-tu, on ne peut pas rester toute sa vie au quartier Latin. Les étudiants font trop de bruit. Maintenant je ne bougerai plus. « Garçon, un bock ! »