Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’aurais voulu que le monde entier le vît tout de suite. Je me rappelle que je le montrai à une vache au bord du sentier, en lui criant :

« Regarde ça, ma vieille. Tu n’en verras pas souvent de pareilles. »

En arrivant devant la maison, j’appelai aussitôt la mère Lecacheur en braillant à tue-tête :

« Ohé ! ohé ! La patronne, amenez-vous et pigez-moi ça. »

La paysanne arriva et considéra mon œuvre de son œil stupide qui ne distinguait rien, qui ne voyait même pas si cela représentait un bœuf ou une maison.

Miss Harriet rentrait, et elle passait derrière moi juste au moment où, tenant ma toile à bout de bras, je la montrais à l’aubergiste. La démoniaque ne put pas ne pas la voir, car j’avais soin de présenter la chose de telle sorte qu’elle n’échappât point à son œil. Elle s’arrêta net, saisie, stupéfaite. C’était sa roche, paraît-il, celle où elle grimpait pour rêver à son aise.

Elle murmura un « Aoh ! » britannique si accentué et si flatteur, que je me retournai vers elle en souriant ; et je lui dis :

– C’est ma dernière étude, mademoiselle.

Elle murmura, extasiée, comique et attendrissante :