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quait-il ? Un théâtre où je pusse l’exposer. La révolution de février est venue. Elle me donne un auditoire de neuf cents personnes, l’élite de la nation déléguée par le suffrage universel, ayant autorité pour la réalisation de mes vues — Ces neuf cents personnes sont animées des meilleures intentions. L’avenir les effraye. Elles attendent, elles cherchent une idée de salut. Elles font silence dans l’espoir qu’une voix va s’élever ; elles sont prêtes à s’y rallier. Je suis là ; c’est mon droit et mon devoir de parler. J’ai la conscience que mes paroles seront accueillies par l’Assemblée et retentiront dans les masses. Je sens l’idée fermenter dans ma tête et dans mon cœur… et je suis forcé de me taire. Connaissez-vous une torture plus grande ? Je suis forcé de me taire, parce que c’est dans ce moment même qu’il a plu à Dieu de m’ôter toute force ; et quand d’immenses révolutions se sont accomplies pour m’élever une tribune, je ne puis y monter. Je me sens hors d’état non seulement de parler, mais même d’écrire. Quelle amère déception ! quelle cruelle ironie !

Depuis mon retour, pour avoir voulu seulement faire un article de journal, me voilà confiné dans ma chambre.

Ce n’est pas tout, un espoir me restait. C’était, avant de disparaître de ce monde, de jeter cette pensée sur le papier, afin qu’elle ne pérît pas avec moi. Je sais bien que c’est une triste ressource, car on ne lit guère aujourd’hui que les auteurs à grande renommée. Un froid volume ne peut certes pas remplacer la prédication sur le premier théâtre politique du monde. Mais enfin l’idée qui me tourmente m’aurait survécu. Eh bien ! la force d’écrire, de mettre en ordre un système tout entier, je ne l’ai plus. Il me semble que l’intelligence se paralyse dans ma tête. N’est-ce pas une affliction bien poignante ?

Mais de quoi vais-je vous entretenir ? Il faut que je compte bien sur votre indulgence. C’est que j’ai si longtemps ren-