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passage que vous rapportez vous annoncent que j’ai l’intention de traiter la question à fond. Dans un prochain article je parlerai de l’échange, ensuite j’exposerai ce que j’ai la hardiesse d’appeler ma théorie de la valeur. Je vous prie de vouloir bien suspendre jusqu’alors votre jugement. Vous ne devez pas douter qu’après cela j’accueillerai vos observations avec reconnaissance, car elles me mettront à même ou de mieux expliquer ou de rectifier, selon l’occasion.

Vous reconnaîtrez, j’espère, que ce qui paraît nous diviser n’est pas très sérieux. Je crois que la valeur est dans les services échangés et non dans les choses. Matériaux et forces matérielles sont fournis gratuitement par la nature, et passent gratuitement de main en main. Mais je ne dis pas que deux travaux, considérés comme égaux en intensité et durée, soient également rémunérés. Celui qui est placé de manière à rendre un service plus précieux à cause des matériaux ou des forces dont il dispose, se fait mieux rétribuer ; son travail est plus intelligent, plus heureux si vous voulez, mais la valeur est dans ce travail et non dans les choses. La preuve en est que le même phénomène se montre, alors même qu’aucun objet matériel ne se présente pour nous faire illusion et paraître revêtir la valeur. Ainsi, si j’éprouve le désir d’entendre la plus belle voix du monde, si je suis disposé pour cela à faire de grands sacrifices, je m’adresserai à Jenny Lind. Comme elle est la seule au monde qui puisse me rendre ce service, elle y mettra le prix qu’elle voudra. Son travail sera plus rétribué qu’un autre, il aura plus de valeur ; mais cette valeur est dans le service.

Je crois qu’il en est de même quand un objet matériel intervient ; et si nous lui attribuons la valeur, c’est par pure métonymie. Prenons un de vos exemples. Un homme écrase son blé entre deux pierres. Plus tard il profite de ce qu’il est placé sur une hauteur visitée par les vents et établit un moulin. Je réclame de lui le service de moudre mon blé.